On aimerait savoir en quels termes le cinéaste Alain Cavalier a, la première fois, présenté à l'acteur Vincent Lindon le projet de ce qui allait devenir Pater. La formulation la plus enfantine n'aurait pas été la moins juste : "On dirait que je serais le président de la République et que je te nommerai premier ministre." C'est tout à l'honneur du sélectionneur Thierry Frémaux d'avoir eu l'audace d'imposer cette "petite forme" non pas en Séance spéciale ou à Un Certain Regard, mais bien en Compétition officielle, sur la même ligne de départ donc que les cosmiques The Tree of life ou Melancholia. Mais le succès de Pater, qui a enchanté le public nombreux du grand amphithéâtre Lumière, constitue avant tout un hommage au cinéma lui-même : il prouve qu'il suffit d'une caméra vidéo et de deux comédiens qui jouent à faire semblant pour refaire le monde et y emmener les spectateurs. Porté par la forte présence de ces deux comédiens (Cavalier lui-même et Vincent Lindon) et le lien d'amitié taquine et respecteuse qu'ils ont tissé, le film d'Alain Cavalier est en effet jubilatoire de bout en bout. Tourné dans la cuisine de l'un (on mange beaucoup dans Pater) et le salon de l'autre, mettant à contribution les copains (pour incarner les conseillers ou les collègues ministres), le film raconte en accéléré la relation entre le Président et son premier ministre, de la nomination à l'affrontement final (quand l'un décide finalement de se présenter contre l'autre). Loin des saillies brutales et de la vulgarité des personnages de La Conquête et L'Exercice de l'état, le film déroule une subtile partition psychologique, emmené par un Cavalier très mitterrandien, distant et matois. A la différence de ces deux films, il est d'ailleurs vraiment question de politique dans Pater, non pas au sens de la lutte pour le pouvoir, mais au sens de l'organisation de la cité. Par la voix de ses deux personnages, le film avance et défend l'idée révolutionnaire (mais revenue récemment en cours à la faveur des excès du capitalisme financier) d'un salaire maximum indexé sur le salaire minimum, selon un coefficient qui est la seule pomme de discorde entre les deux hommes. On n'exagérera toutefois pas la dimension de brûlot politique de Pater. Le charme du film est de se prendre perpétuellement au jeu mais jamais complètement au sérieux. C'est particulièrement vrai pour Vincent Lindon : plusieurs fois au bord du fou rire devant l'imperturbable sérieux avec lequel Cavalier improvise, il n'en finit pas moins, à son grand étonnement, par "s'y croire" pleinement (et de s'étonner que le gouvernement — le vrai — ne le sollicite pas plus, et de s'offusquer que son ami ne l'ait même pas appelé pour lui dire que le Président / Cavalier lui avait proposé le rôle / le poste de premier Ministre).
Pater d'Alain Cavalier, France, 105 mn, Sélection Officielle en compétition Sortie française prévue le 22 juin 2011