Qu'elle était verte leur vallée !

Critique
de Gilles Perret
86 minutes 2006

Le film anti-mondialisation (ou sur la mondialisation) est devenu un genre à part entière et on ne compte plus les documentaires ou les fictions qui, comme Bamako d’Abderrahmane Sissako, épinglent l’OMC, le FMI ou la Banque Mondiale.Tout l’intérêt et la force de Ma mondialisation viennent de la modestie (au moins apparente) de ce qui est à la fois son sujet et son décor : la vallée de l’Arve en Haute-Savoie où 500 entreprises et 12 000 salariés travaillent pour fournir en pièces de mécanique de précision (industrie que l'on appelle le "décolletage") les géants de l’automobile, de l’aérospatiale ou du secteur médical.

C’est en suivant le chef d’entreprise Yves Bontaz dans ses usines savoyardes, tchèques ou chinoises (l’horloge du siège affiche les heures de Londres, Sao Paulo, Shanghai, Détroit… et Marnaz), en rencontrant ses employés (directeur, ouvrier, responsable syndical) et ses pairs entrepreneurs que le réalisateur Gilles Perret va dévoiler méthodiquement les mécanismes implacables de la mondialisation économique et financière. Du local au global, la démonstration, appuyée sur les commentaires de l’économiste Frédéric Lordon est d’une grande efficacité pédagogique. Surtout, elle a le mérite de sortir des clichés sur les "régions sinistrées" ou les "industries en crise" (sidérurgie, textile…), et de remettre en cause les slogans rebattus sur la compétitivité et la nécessaire innovation technologique. Le paradoxe est que la vallée de l’Arve est un fleuron de l’industrie française, et l'incarnation même du modèle économique (innovation permanente, ouverture vers l’international) tant vanté par les gazettes. Or c’est bien le dynamisme et la rentabilité de ces entreprises qui ont attiré l’appétit prédateur des fonds de pension (dont le souci de rentabilité rapide et maximale menace la logique industrielle de la vallée), c’est leur compétitivité et leur ouverture internationale qui les obligent à prendre le train fou des délocalisations, parfois contre toute logique : on comprend ainsi avec effarement que le choix de la Chine tient parfois plus de l’effet de mode ou de l’idéologie que de la rationalité économique, puisque les donneurs d’ordre (clients, actionnaires) l’exigent même à coût égal voire supérieur !

On ne saurait ainsi trop conseiller le film pour l’étude fine et pertinente de la mondialisation au lycée, en SES et en Géographie, voire en ECJS : en s’attachant aux hommes et à leurs dilemmes le film pose aussi la question de la responsabilité individuelle et citoyenne face à cette mondialisation. Ainsi quand le "héros" Yves Bontaz déclare dans un élan humaniste que pour lui "français, tchèques, chinois, c’est la même chose, ce sont des hommes", il omet de préciser que ces "hommes" sont très très loin de lui coûter la même chose. Il y a une dernière raison pour recommander ce film : c’est qu’en plongeant dans le présent d’une région et d’une industrie françaises il éclaire une réalité que l’on semble redécouvrir à chaque élection. A la lumière du film on pourra ainsi analyser les votes lors de la dernière élection présidentielle ou du référendum sur la constitution européenne.