Re-lecture : De l'autre côté

Re-lecture : De l'autre côté

Cette nouvelle rubrique propose une autre lecture d'un film sorti récemment, en faisant appel aux concepts et aux auteurs de la philosophie. Ce mois-ci, c'est par Leibniz que nous redécouvrons le beau film de Fatih Akin, De l'autre côté.

Dans la Monadologie (1714), Leibniz prend l’exemple d’une ville pour étudier la multiplicité des perspectives selon laquelle une même chose peut être perçue. Sur une même ville existent autant de perceptions que d’habitants. Mais chacun des ses habitants lui-même a une identité aussi kaléidoscopique que la ville. Sur le même homme, la même femme, les regards varient tout indéfiniment.C’est à ce jeu que se livre Fatih Akin dans De l’autre côté. Il n’offre pas sur chacun de ses personnages un point de vue unique, mais tourne autour d’eux, comme on fait tourner un cube dans ses mains pour en voir toutes les côtés. Autrui est comme ce cube dont je ne peux jamais percevoir toutes les facettes en même temps. Même si je crois connaître quelqu’un, il y a toujours un côté de sa personnalité qui m’échappe. Je n’ai de lui qu’une image fragmentaire, une identité lacunaire. C’est cette richesse et cette complexité de l’individu que Akin laisse entr’apercevoir en multipliant les points de vue sur un même sujet, qui est présenté tour à tour comme selon des jours différents, des éclairages plus ou moins flatteurs. Yeter, la prostituée se révèle ainsi une mère inquiète ; Ali, le vieux turc alcoolique, un veuf esseulé et un père dévoué ; Susanne, la mère allemande égoïste et méfiante, une femme généreuse et ouverte. Ayten est Gül, une étudiante somnolant au fond d’un amphi, une terroriste révoltée, une amie sincère. Nejat est professeur d’université en Allemagne, libraire à Istanbul. Akin joue avec ses personnages qui changent d’apparence, de statut, de ville, de nom, de langue pour mieux brouiller les pistes de leur identité profonde, qui ne se révèle finalement qu’au travers d’émotions. C’est à sa tristesse que Nejat identifie la mère de Lotte dans le café de l’hôtel.En variant les perspectives, Fatih Akin fait passer au second plan les protagonistes des scènes précédentes. Il nous rappelle ainsi que notre existence entre dans le décor d’autres vies qui nous sont indifférentes et dans lesquelles nous sommes des figurants insignifiants et interchangeables. Susanne ne prête pas d’attention à ce vieux turc qui vient d’être expulsé d’Allemagne, Nejat ne s’inquiète pas de l’étudiante qui dort pendant son cours et qu’il cherchera vainement à Istanbul quelques semaines plus tard. Ainsi, sans cesse nous nous manquons les uns les autres, en passant sans le savoir à côté de celui que nous cherchons. Les trajectoires se croisent comme deux trains en sens inverse, les rencontres sont ratées, certains actes viennent trop tard. Mais le dernier plan du film semble pourtant suggérer que certaines vraies rencontres sont encore possibles avec celui que l’on attend.

> Voir également notre critique de De l'autre côté (en salles depuis le 14/11/2007)

Cette nouvelle rubrique propose une autre lecture d'un film sorti récemment, en faisant appel aux concepts et aux auteurs de la philosophie. Ce mois-ci, c'est par Leibniz que nous redécouvrons le beau film de Fatih Akin, De l'autre côté.

Dans la Monadologie (1714), Leibniz prend l’exemple d’une ville pour étudier la multiplicité des perspectives selon laquelle une même chose peut être perçue. Sur une même ville existent autant de perceptions que d’habitants. Mais chacun des ses habitants lui-même a une identité aussi kaléidoscopique que la ville. Sur le même homme, la même femme, les regards varient tout indéfiniment.C’est à ce jeu que se livre Fatih Akin dans De l’autre côté. Il n’offre pas sur chacun de ses personnages un point de vue unique, mais tourne autour d’eux, comme on fait tourner un cube dans ses mains pour en voir toutes les côtés. Autrui est comme ce cube dont je ne peux jamais percevoir toutes les facettes en même temps. Même si je crois connaître quelqu’un, il y a toujours un côté de sa personnalité qui m’échappe. Je n’ai de lui qu’une image fragmentaire, une identité lacunaire. C’est cette richesse et cette complexité de l’individu que Akin laisse entr’apercevoir en multipliant les points de vue sur un même sujet, qui est présenté tour à tour comme selon des jours différents, des éclairages plus ou moins flatteurs. Yeter, la prostituée se révèle ainsi une mère inquiète ; Ali, le vieux turc alcoolique, un veuf esseulé et un père dévoué ; Susanne, la mère allemande égoïste et méfiante, une femme généreuse et ouverte. Ayten est Gül, une étudiante somnolant au fond d’un amphi, une terroriste révoltée, une amie sincère. Nejat est professeur d’université en Allemagne, libraire à Istanbul. Akin joue avec ses personnages qui changent d’apparence, de statut, de ville, de nom, de langue pour mieux brouiller les pistes de leur identité profonde, qui ne se révèle finalement qu’au travers d’émotions. C’est à sa tristesse que Nejat identifie la mère de Lotte dans le café de l’hôtel.En variant les perspectives, Fatih Akin fait passer au second plan les protagonistes des scènes précédentes. Il nous rappelle ainsi que notre existence entre dans le décor d’autres vies qui nous sont indifférentes et dans lesquelles nous sommes des figurants insignifiants et interchangeables. Susanne ne prête pas d’attention à ce vieux turc qui vient d’être expulsé d’Allemagne, Nejat ne s’inquiète pas de l’étudiante qui dort pendant son cours et qu’il cherchera vainement à Istanbul quelques semaines plus tard. Ainsi, sans cesse nous nous manquons les uns les autres, en passant sans le savoir à côté de celui que nous cherchons. Les trajectoires se croisent comme deux trains en sens inverse, les rencontres sont ratées, certains actes viennent trop tard. Mais le dernier plan du film semble pourtant suggérer que certaines vraies rencontres sont encore possibles avec celui que l’on attend.

> Voir également notre critique de De l'autre côté (en salles depuis le 14/11/2007)