Redacted, revu et corrigé : la guerre à haut débit
On pourrait qualifier Redacted, revu et corrigé de Brian de Palma "d’auto-remake" : sorti en 1990, Outrages (Casualties of War) racontait le viol d’une civile par un petit groupe de GI’s en pays occupé. Dix-huit ans plus tard, le nouveau film de Brian de Palma (après Le Dahlia noir) met en scène sensiblement la même histoire, à ceci près que la victime n’est plus vietnamienne mais irakienne, et que le film traite les événements non pas avec le recul des ans, mais quasiment "à chaud". En revenant sur cette histoire, on comprend bien ce que Brian de Palma veut nous dire : c’est l’histoire qui se répète, et la guerre en Irak qui se révèle un mauvais remake du guêpier vietnamien. Mêmes erreurs (volontaires ?) des gouvernants, mêmes horreurs (inévitables) de la soldatesque.Si quelque chose a changé en revanche entre le Vietnam et l’Irak, c’est bien notre rapport aux images. Alors que le conflit vietnamien correspondait à la grande époque du reportage photographique (certains clichés sont entrés dans l’histoire) et à l’avènement du médium télévisuel (les grands réseaux américains ont couvert la guerre quasiment en direct), l’intervention américaine en Irak coïncide avec l’extraordinaire démocratisation des moyens d’enregistrement et de diffusion vidéo (via les sites de partage en ligne).C’est ce terrain qu’investit (à l’instar de Cloverfield, autre film-concept, dans un registre certes plus ludique) Brian de Palma avec Redacted, faux documentaire constitué exclusivement d’images censément "de seconde main" (l’expression est des Cahiers du Cinéma qui proposent une intéressante "généalogie de Redacted") : journal de bord d’un bidasse apprenti cinéaste, reportages d’une équipe de télévision "embedded" ou de chaînes arabes, enregistrements de caméras de surveillance, témoignages sur webcam d’une épouse de GI éplorée ou d’une militante anti-guerre, jusqu’à la scène d’exécution d’un soldat enlevé par les terroristes… "Censément" de seconde main car toutes ces images ont été minutieusement recrées, remises en scènes : Brian de Palma fait du vrai avec du faux, ou du faux avec du vrai, ce qui inscrit Redacted dans la cohérence d’une œuvre basée sur le faux-semblant.Mais si le film est incontestablement prenant et percutant, s’il documente certains aspects précis de l’occupation militaire américaine (tragique malentendu à un checkpoint), on avouera n'être pas sûr de bien comprendre où Redacted voudrait en venir, et où il nous emmène : — analyse du basculement (individuel ou collectif) dans la barbarie, traque de ce que Patrick Rotman appelait "l’ennemi intime" ? Mais d’autres l’ont fait de manière plus implacable (voir à ce propos la troisième partie de notre dossier pédagogique sur L’Ennemi intime de Florent Siri)— brûlot contre la présence américaine en Irak ? Sans aucun doute, mais la démonstration tombe un peu à contretemps, maintenant que la question n’est plus : "fallait-il y aller ?" mais bien "comment en sortir ?"— dénonciation de la censure militaire, étatique, médiatique ? Le titre du film, les déclarations de Brian de Palma, de nombreux passages du film (— "Tu sais quelle a été la première victime de cette guerre ? — La vérité.") en attestent.Mais là réside toute l'ambiguïté de Redacted : s’il dénonce les tentatives de censure, c’est pour mieux en démontrer l’inanité. De toute façon, semble-t-il nous dire, les images existent, et sont consultables en quelques clics. Elles se heurtent de fait à une forme bien plus puissante et pernicieuse de censure : l’indifférence, le refus de voir, le refoulement.C’est donc d'une certaine manière la question de sa propre utilité que pose ce film qui se voudrait acte politique : à quoi bon montrer à ceux qui ne veulent pas voir ? Pourquoi un nouveau film américain sur la guerre en Irak, qui ne sera pas plus vu que les autres ? Et à quoi pourront donc bien servir l'exhibition insoutenable, en guise de générique, de photos de victimes irakiennes du conflit (attentats ? bavures ?), montées sur un grand air d'opéra (Tosca de Puccini) ?
[Redacted, revu et corrigé de Brian de Palma. 2007. Durée : 1 h 30. Distribution : TFM. Sortie : le 20 février]