Santiago 73 Post mortem : autopsie d'un coup d'état

Critique
de Pablo Larrain
98 minutes 2011

Il y a au moins une scène d'anthologie dans Santiago 73 Post mortem de Pablo Larrain : l'autopsie du corps de Salvador Allende dans le sous-sol blafard d'un hôpital militaire, devant un aréopage sinistre de hauts-gradés. Reconstituée d'après le rapport d'autopsie conservé par la fondation Allende et les descriptions des témoins, tournée quarante ans après dans les lieux mêmes du drame, la scène est d'une rare puissance d'évocation cinématographique. Le trajet destructeur de la balle qui à traversé de bas en haut le crâne d'Allende, décrit minutieusement et froidement par le légiste, figure à lui tout seul la violence avec laquelle le coup d'état du 11 septembre 1973 a meurtri la société chilienne. Véritable acmé de Santiago 73 Post mortem, cette scène en est en fait également la matrice. Le réalisateur Pablo Larrain a eu l'idée de son film en tombant sur une signature énigmatique au bas du rapport d'autopsie du président chilien : celle d'un certain Mario Cornejo, secrétaire du légiste, dont tous les témoins semblent avoir oublié la présence ce jour-là. Comme Tony Manero, le précédent film de Larrain, tournait autour de son héros éponyme (danseur de disco serial killer), Santiago 73 Post mortem brode autour de ce personnage réel mais largement fantasmé, relatant de son point de vue les quelques jours précédant et suivant le coup d'état du 11 septembre. Dans un cas comme dans l'autre il s'agit d'aborder l'Histoire par la bande, à partir d'un personnage en apparence insignifiant, mais dont les faits et gestes se veulent symptomatiques. Si par ses crimes sanglants et sa démesure Tony Manero métaphorisait la violence et l'impunité régnant dans le Chili de Pinochet, le terne et zélé Mario incarne la majorité silencieuse, indifférente et finalement complice, à moins qu'il ne personnifie le concept de banalité du mal (il se définit obsessionnellement comme un "fonctionnaire").

C'est du moins ce que l'on s'imagine, car Santiago 73 est un film relativement abscons. S'il parvient à imposer un personnage (Alfredo Castro, acteur fétiche de Larrain, s'est fait la tête de l'emploi, entre Buster Keaton et Nosferatu) et à installer une ambiance prégnante, le film semble se prendre au piège de son propre dispositif. Alors que l'armée prend le contrôle de l'hôpital, alors que les cadavres prolifèrent dans les couloirs, Mario ne semble se préoccuper que de la relation malsaine qu'il a entamé avec Nancy, sa voisine chanteuse. Dans une ambiance funèbre et comme dévitalisée (images délavées), les "événements" chiliens sont réduit à un écho lointain, cris des manifestants ou grondement des chars. On finit par se demander s'il ne faut pas prendre le titre au pied de la lettre : et si tout le monde était déjà mort (comme Nancy dont on voit la dépouille avant), et si l'histoire était déjà jouée d'avance ? Alourdi par un maniérisme un peu étouffant (décadrages systématiques, plans étirés jusqu'au malaise) Santiago 73 paraît soit trop obscur (la relation entre Cornejo et Nancy) soit trop lisible (Cornejo faisant disparaître la femme, métaphore d'un Chili refoulant le coup d'état ?).

Plus qu'au récent Nostalgie de la lumière de son compatriote Patricio Guzman, on pense beaucoup à L'œil invisible du jeune Diego Lerman (chroniqué à Cannes l'année dernière, dont la sortie est prévue pour le 4 mai) sur la dictature argentine : même ambiance étouffante, même mariage entre eros et thanathos, même goût pour les situations scabreuses… et même absence de point de vue tranché sur l'Histoire.  Signés par des jeunes gens qui n'ont pas subi directement les dictatures (à la différence d'un Guzman) mais qui ont besoin de revenir sur ce "passé qui ne passe pas" et d'interroger la génération de leurs parents (le père de Pablo Larrain est un sénateur influent de la droite chilienne), ces films sont des projections fantasmées, des points d'interrogations : pas toujours très aimables, mais souvent passionnants.