Annoncé déjà comme un des grands événements de la Sélection Officielle, Un Prophète de Jacques Audiard réussi l'exploit de raconter l'ascension sociale d'un jeune homme sans feu ni lieu, sans presque jamais quitter les murs d'une prison. Entré en Centrale orphelin et analphabète, victime toute désignée du système carcéral, Malik (Tahar Rahim) en sortira cinq ans plus tard riche, puissant et respecté.Reprenant avec succès un schéma narratif qui lui est cher, celui du David triomphant —malgré ses handicaps— de Goliath (ici un parrain de la mafia corse, formidablement incarné par Niels Arestrup), Jacques Audiard porte à un niveau inédit son style tendu et sensuel, basé sur une étroite focalisation sur le personnage principal (Un héros très discret, Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté…).Mais le tour de force du film est de parvenir donner une puissance quasi documentaire à un univers recréé de toutes pièces, à conférer la séduction du réel à un pur fantasme scénaristique. La qualité du décor et du casting, la précision et l'effet de réel de certains détails (le rituel de la fouille au corps, la réunion de la commission d'application des peines, le racisme des détenus corses) parviennent à faire oublier le flou artistique qui entoure certaines situations et l'invraisemblance globale de la trajectoire du personnage principal.Le film interroge ainsi la subjectivité des notions de réalisme ou de vraisemblance. Pas un instant dans le film on ne doute de ce que l'on nous montre. Pourtant la prison d'Un Prophète, gangrénée jusqu'au sommet par la corruption, où les mafias prospèrent, où les comptes se règlent en toute impunité, tient moins du témoignage sur le milieu carcéral français que d'un pur fantasme de cinéma (le parrain des Affranchis de Scorsese préparant la pasta pour ses co-détenus) ou de série américains (la prison-pilote de la série Oz, référence omniprésente d'Un Prophète).La très forte séduction qu'opère le film (on reste objectivement scotché à son fauteuil deux heures durant) est aussi sa limite : le charme dissipé, on reste à se demander ce que ce Prophète voulait nous dire, ce qu'il nous annonce (pour prendre le titre au pied de la lettre). Le caractère criminogène du milieu carcéral (la prison comme école du crime) ? La prison comme métaphore de la société ? Le déclin d'une forme de délinquance au profit d'une autre ? Ou pour reprendre une clé plus psychanalytique, la revanche des fils sur les pères (déjà au centre de plusieurs films de Jacques Audiard) ? Tout cela et rien à la fois, se dit-on…Comme Mesrine scénarisé par le même Abdel Raouf Dafri (qui ne signe ici que l'idée originale), Un Prophète devrait réconcilier la cinéphilie des centre-villes et celle des banlieues. La bonne nouvelle apportée par ces deux films est d'offrir, en passant des flics aux gangsters, un vrai renouveau au polar français…
Un Prophète de Jacques Audiard, France, 2009, Sélection Officielle