Eden à l'ouest©Pathé Distribution

Eden à l'Ouest : heureux qui comme Elias…

Critique
de Costa Gavras
110 minutes 2009

Naufragés de Lampedusa, « réfugiés » de Sangatte, assaillants de Ceuta et Mellila : comment donner un visage et une existence fictionnelle à ces masses de migrants qui se pressent aux portes de l’Europe, comment rendre cinégénique cette insupportable réalité qui constitue à la fois notre mauvaise conscience et notre cauchemar ?
En 2003, Michael Winterbottom avait choisi avec In this world de brouiller la frontière entre documentaire et fiction, restituant de manière hyperréaliste le périple de deux jeunes pakistanais essayant de gagner l’Angleterre. Avec Eden à l’Ouest, le réalisateur français d’origine grecque Costa Gavras prend le parti inverse, celui de la fable : son héros, qui suit un parcours similaire (de la mer Egée jusqu’à Paris), est conçu comme un archétype universel ; venu de partout et de nulle part à la fois (même la langue qu’il parle est imaginaire), Elias/Alias (le jeu de mots est dans le film) est chargé d’incarner à lui seul l’homo migrans. Si Eden à l’Ouest était un roman, il pourrait être écrit à la deuxième personne pour mieux nous concerner, à l'instar de La Modification de Michel Butor.
L’idée, belle et généreuse, donne lieu à deux séquences magistrales : dans la première, les candidats à l’émigration déchirent leurs papiers d’identité et les jettent à la mer, afin de rendre impossible tout renvoi dans leur pays d’origine ; dans la seconde, Elias, échoué sur la plage d’un club de vacances huppé, se dépouille de ses vieux habits pour se fondre dans la masse des nudistes en villégiature. Comment mieux métaphoriser l’absurdité de frontières (géographiques mais aussi sociales) érigées en barrières infranchissables, et l’injustice insupportable qui consiste à séparer l’humanité entre un petit nombre de privilégiés et une grande masse d’exclus ?
C’est bien le problème du film de Costa Gavras, qui donne l’impression de courir après la beauté et la simplicité de cette entame, de répéter en moins bien et moins fort ce que ces deux séquences ont dit. Une fois débarqué sur le sol grec, Elias, mi-Ulysse aux mille ruses, mi-vagabond chaplinesque, n’est en effet pas au bout de ses peines : sa route jusqu’à Paris sera semée d’embûches et de chausse-trappes, mais aussi de petits coups de main et discrets gestes de solidarité. Dépourvue de véritables personnages (l’un n’est qu’un archétype sans épaisseur, les autres ne font que passer), cette odyssée » manque terriblement de chair : elle se résume vite à une mécanique désespérément linéaire et répétitive, qui n’est autre que celle du jeu de l’oie. Des routiers allemands te prennent en auto-stop, tu avances de deux cases ; un compagnon d’infortune te vole ta veste, tu recules de trois. Le jeu de l'oie, c'est d'ailleurs la forme qu'a choisi la Cimade pour sensibiliser aux Parcours de migrants.
Cherchant un équilibre improbable entre réalisme et métaphore, entre gravité et légèreté (la satire), Eden à l’Ouest apparaît tantôt caricatural (Elias —attention métaphore— débouchant à la main les toilettes d’un touriste, les gentils membres du club de vacances se livrant à une joyeuse chasse au clandestin), tantôt très aseptisé (le beau Ricardo Scamarcio restant invraisemblablement présentable tout au long de son errance). La pirouette finale, qui nous laisse dans l’indécision quant au sort du personnage, montre bien la difficulté du film à boucler la boucle.