Sin nombre©Diaphana Films

Sud-Nord… et retour

Critique
de Cary Joji Fukunaga
96 minutes 2009

Ces dernières années le cinéma américain a abondamment scruté sa frontière méridionale, et mis en scène les flux licites (marchandises) et illicites (drogue, immigrés) qui la traversent. L’originalité de Sin nombre du jeune réalisateur Cary Joji Fukunaga est de porter son regard un peu plus loin, jusqu’au cœur de l’Amérique centrale où l’attraction et l’influence des Etats-Unis ne se font pas moins sentir qu'à leurs portes.
Sin nombre fait se croiser les destins d’une famille hondurienne qui va tenter de rejoindre le nord à bord (ou plutôt sur le toit) d’un train de marchandises, et de deux jeunes mareros (membres d'une mara, un gang) : Casper qui va se mettre au ban du groupe, au péril de sa vie, et le tout jeune Mickey qui cherche lui à s’y faire accepter.
La plus grande qualité du film est le brio avec lequel le scénario entremêle les itinéraires de ces différents personnages, et mélange les registres fictionnel (la traque, l’histoire d’amour) et documentaire. En suivant les candidats à l’exil sur toute la longueur du trajet, en montrant les avanies qu’ils subissent (pourchassés par la police et les douanes, rackettés par les mareros) et les dangers qu’ils courent, le film donne une vision terriblement concrète d’un processus dont on ne considère généralement que l’aboutissement (comme Costa Gavras l’a fait, de manière plus symbolique, avec Eden à l'Ouest). La peinture du monde codé et ultraviolent des maras semble en comparaison plus conventionnelle : comme si l’utilisation de codes visuels et de schémas narratifs très balisés par le cinéma et la télévision américaine déréalisait un phénomène dont le documentaire La vida loca (dont le réalisateur, Christian Poveda, est mort assassiné peu après le tournage) avait donné un aperçu saisissant.
Sin nombre montre ainsi de manière frappante les interconnexions entre Nord riche et Suds pauvres : le flux des clandestins venus de toute l’Amérique centrale pour se heurter à la porte étroite de la frontière étatsunienne ; mais aussi, dans l’autre sens, la destabilisation des sociétés d’Amérique centrale par ces phénomènes d’allers et retours.
Les maras ne sont ainsi que l’exportation, via notamment les immigrés expulsés en masse depuis les années 80, d’une forme de délinquance proprement américaine (les deux principales maras sont nées à Los Angeles), comme le dénotent les surnoms (Casper, Mickey) que se donnent les mareros, tout empreints de culture américaine.