Gett : voyage en Absurdie

Critique

Gett : voyage en Absurdie

"I want a Gett.
— A what ?!
" (A serious man, J. et E. Coen)

Dans l'Amérique sixties des frères Coen, le "Gett" (divorce religieux) était relégué au rang de pittoresque curiosité communautaire, et traité sur le ton de la blague. Dans l'Israël contemporain décrit par le nouveau film de Ronit et Schlomi Elkabetz, c'est une institution terriblement concrète, dans laquelle étouffe une femme souhaitant reprendre sa liberté. En nous montrant sur la longueur le fonctionnement de cette institution rabbinique composée de trois juges chargés de concilier les époux (c'est-à-dire essentiellement d'obtenir l'accord du mari, sans lequel le divorce ne peut pas être prononcé), Gett déjoue de manière malicieuse mais aussi tragique les attentes liées au film de procès. Huis-clos constitué des audiences de cette procédure s'étirant sur une durée hors normes, le film est un petit théâtre où s’affrontent les époux, en face à face ou via leurs avocats, où défilent des témoins, savoureux ou inquiétants, interrogés par des juges eux-mêmes tour à tour effrayants et ridicules. 

Le personnage de Viviane la coiffeuse est campé par une Ronit Elkabetz majestueuse, tantôt hiératique ou desespérée, tantôt mutine et enfantine. Certains plans sur ses jambes ou ses cheveux expriment son indéniable beauté naturelle et l’effet qu’elle produit sur les autres : séduction d'un côté (sur son mari encore et toujours, sur son avocat, les amis de son mari et même sur le juge qui lui ordonne de ne pas jouer avec la masse sombre et voluptueuse de sa chevelure, alors qu’elle a un simple geste de lassitude), pitié de l'autre (que nourrissent à son égard les autres femmes, son avocat et le spectateur). Simon Abkarian interprète quant à lui un mari taiseux, qui se révèle au fur et à mesure beaucoup moins lisse que ce qu’il laisse paraître. Le tour de force de ce huis-clos est la manière dont il fait vivre son hors-champ, inscrivant dans la psyché du spectateur d'autres films possibles, celui sur les conservatismes patriarcaux à l’œuvre dans la société israélienne, ou celui d’un ménage emprisonné dans son mal-être… Ronit et Schlomi Elkabetz composent un véritable festival de l'absurde, dont les dialogues savoureux s’enchaînant à toute allure. Mais derrière les accents kafkaïens de cette situation inextricable, affleure l’effroyable condition de la femme israélienne d'aujourd'hui, auprès duquel celle de la femme iranienne (tel que nous la montrait Ashgar Farhadi dans Une Séparation) passerait presque pour enviable.

Gett, le procès de Viviane Amsallem est un film qu’apprécieront sans nul doute les élèves de lycée, sensibles à la théâtralité du procès et à la vivacité des dialogues, au mélange des registres, à la cruauté grotesque avec laquelle s'exerce la domination masculine, qui leur permettront d’envisager au mieux les enjeux liés à l’égalité entre les hommes et les femmes dans notre société.

 

Critique

"I want a Gett.
— A what ?!
" (A serious man, J. et E. Coen)

Dans l'Amérique sixties des frères Coen, le "Gett" (divorce religieux) était relégué au rang de pittoresque curiosité communautaire, et traité sur le ton de la blague. Dans l'Israël contemporain décrit par le nouveau film de Ronit et Schlomi Elkabetz, c'est une institution terriblement concrète, dans laquelle étouffe une femme souhaitant reprendre sa liberté. En nous montrant sur la longueur le fonctionnement de cette institution rabbinique composée de trois juges chargés de concilier les époux (c'est-à-dire essentiellement d'obtenir l'accord du mari, sans lequel le divorce ne peut pas être prononcé), Gett déjoue de manière malicieuse mais aussi tragique les attentes liées au film de procès. Huis-clos constitué des audiences de cette procédure s'étirant sur une durée hors normes, le film est un petit théâtre où s’affrontent les époux, en face à face ou via leurs avocats, où défilent des témoins, savoureux ou inquiétants, interrogés par des juges eux-mêmes tour à tour effrayants et ridicules. 

Le personnage de Viviane la coiffeuse est campé par une Ronit Elkabetz majestueuse, tantôt hiératique ou desespérée, tantôt mutine et enfantine. Certains plans sur ses jambes ou ses cheveux expriment son indéniable beauté naturelle et l’effet qu’elle produit sur les autres : séduction d'un côté (sur son mari encore et toujours, sur son avocat, les amis de son mari et même sur le juge qui lui ordonne de ne pas jouer avec la masse sombre et voluptueuse de sa chevelure, alors qu’elle a un simple geste de lassitude), pitié de l'autre (que nourrissent à son égard les autres femmes, son avocat et le spectateur). Simon Abkarian interprète quant à lui un mari taiseux, qui se révèle au fur et à mesure beaucoup moins lisse que ce qu’il laisse paraître. Le tour de force de ce huis-clos est la manière dont il fait vivre son hors-champ, inscrivant dans la psyché du spectateur d'autres films possibles, celui sur les conservatismes patriarcaux à l’œuvre dans la société israélienne, ou celui d’un ménage emprisonné dans son mal-être… Ronit et Schlomi Elkabetz composent un véritable festival de l'absurde, dont les dialogues savoureux s’enchaînant à toute allure. Mais derrière les accents kafkaïens de cette situation inextricable, affleure l’effroyable condition de la femme israélienne d'aujourd'hui, auprès duquel celle de la femme iranienne (tel que nous la montrait Ashgar Farhadi dans Une Séparation) passerait presque pour enviable.

Gett, le procès de Viviane Amsallem est un film qu’apprécieront sans nul doute les élèves de lycée, sensibles à la théâtralité du procès et à la vivacité des dialogues, au mélange des registres, à la cruauté grotesque avec laquelle s'exerce la domination masculine, qui leur permettront d’envisager au mieux les enjeux liés à l’égalité entre les hommes et les femmes dans notre société.