De toutes mes forces©Ad Vitam

De toutes mes forces : aide sociale pour adolescence spéciale

Critique
de Chad Chenouga
98 minutes 2017

Élève de Première dans un prestigieux lycée parisien, Nassim rentre chaque soir dans un foyer en banlieue parisienne. Le jeune homme vient de perdre sa mère et tente tant bien que mal de cacher à ses amis la réalité de sa situation. Inspiré de la vie de son réalisateur, De toutes mes forces conjugue récit initiatique et réflexion sociétale. À travers le séjour de Nassim dans ce foyer pour adolescents, le film pointe en effet les limites de la prise en charge par l’État des jeunes orphelin.e.s, violenté.e.s, rejeté.e.s. Ainsi, dès que Nassim passe « de l’autre côté », après le suicide de sa mère, il cesse d’être considéré par les adultes de son entourage comme un individu singulier. Nassim comprend peu à peu qu’il est désormais un « cas social », et que cette nouvelle étiquette n’est pas près de le quitter. Cette violence exercée par la société sur le jeune homme atteint son paroxysme dans une confrontation entre Nassim et le proviseur de son lycée : alors que l’adolescent n’est pas plus mauvais en classe qu’un autre et qu’il affirme son projet d’entamer un bac scientifique, le proviseur lui annonce qu’il ne pourra pas poursuivre sa scolarité au lycée et qu’il devra trouver une formation plus adaptée à sa situation – une formation technique, dans un établissement proche du foyer. Chad Chenouga montre le piège du déterminisme social qui se referme sur son héros, renforçant cette sensation d’acculement par l’utilisation de cadrages très serrés.

Mais De toutes mes forces raconte aussi l’histoire d’une libération. Au début du film, Nassim ne cesse de fuir. Il fuit ses émotions, affichant en toutes circonstances un visage fermé ; il fuit également le spectateur, à qui il tourne très souvent le dos, comme s’il refusait de se soumettre à son regard. Mais le jeune homme apprivoise peu à peu ses émotions, qu’il finit par accepter d’exprimer au vu et au su de tous, et face à la caméra. Et si dans un premier temps cette ouverture des vannes l’amène au bord de la folie, elle lui permet ensuite de réapprendre à vivre. Cette éclosion du personnage permet ainsi à Chenouga d’aborder de plus en plus frontalement certaines thématiques essentielles. Dans le dernier tiers du film, une discussion d’une grande justesse entre Nassim et la directrice du foyer (Yolande Moreau) interroge par exemple la douleur et la culpabilité de celui qui n’a pas pu empêcher le suicide d’un parent.

Ces deux mouvements inverses qui animent Nassim impriment au film une tonalité douce-amère. Les avancées du personnage principal sont en effet toujours contrariées par le poids du destin. De même, les scènes de joie sont systématiquement dérangées par l’irruption de la violence, qu’elle soit physique, verbale ou sociale. Ainsi, tandis que l’un des jeunes du foyer transforme sa colère en danse, réinjectant de la beauté là où il n’y avait que la misère, une autre jeune (incarnée par l’impeccable Jisca Kalvanda, vue dans Divines) se heurte de plein fouet aux absurdités de l’aide sociale à l’enfance. Oscillant sans cesse entre ces deux registres, le réalisateur semble choisir son camp dans les tous derniers instants du film : De toute mes forces se conclut par un sourire, comme la promesse de lendemains meilleurs.