12 jours ©Wild Bunch

Raymond Depardon regarde la folie droit dans les yeux

Critique
de Raymond Depardon
87 minutes 2017

On retient surtout de 12 Jours les images de ces yeux dans lesquels on se perd. Tout au long du film, les yeux des patients, filmés en plans fixes très resserrés lors des audiences, se fichent dans les nôtres : yeux qui ne clignent jamais, effet secondaire des médicaments, regards tantôt vides, tantôt déterminés, parfois empreints d’une effrayante fureur. Depardon nous amène ainsi à regarder droit dans les yeux cette folie qu’on préfère souvent fuir ou mépriser. Le cinéaste rapportait d’ailleurs les paroles d’un des patients qu’il a filmés : « Je préfère ne pas sortir dehors, car les gens ont les yeux sévères sur moi… » Ici Depardon nous invite à adopter un autre regard, le sien : un regard doux, qui ne juge ni n’esquive.

Ces 12 jours qui donnent leur titre au film, c’est, depuis 2013, la durée dont disposent les psychiatres pour faire examiner par un juge la légalité d’une hospitalisation sous contrainte. À l’issue d’une courte audience avec le patient, un juge des libertés détermine si la procédure a bien été respectée, et décide de poursuivre ou non l’enfermement. Fidèle à son engagement humaniste et politique, Raymond Depardon filme la difficile application de cette loi du 27 septembre 2013. Restituant dix audiences à l’hôpital Le Vinatier de Lyon, il met une fois de plus en scène la confrontation d’un individu (ici le patient) aux institutions (la justice, la psychiatrie). En résulte un film poignant, qui interroge notre rapport à la folie et à la liberté.

Film frontal, 12 Jours est aussi un film cru. Les audiences sont pour les patients un espace de parole dont ils se saisissent pleinement. Ils décrivent leur expérience de l’enfermement et racontent leur histoire personnelle, souvent traumatique. Leurs mots sont brutaux mais précieux, ils engagent leur avenir autant que le devenir de notre société. Petit à petit, ces discours viennent en effet interroger des composantes fondamentales de notre humanité. « Jusqu’à quel point sommes-nous libres ? » se demande-t-on par exemple lorsque l’enfermement sous contrainte d’une jeune femme est justifié par la probabilité qu’elle se tue, alors même que celle-ci exprime son désir de mourir. Conscient de la densité intellectuelle et émotionnelle de son documentaire, Depardon crée pour son spectateur des respirations. Il filme les couloirs de l’hôpital et ses extérieurs, accompagnant ces plans de la douce musique d’Alexandre Desplat. Des respirations qui nous permettent de réfléchir, de digérer tout ce que l’on vient de voir et d’entendre. La musique sert d’enveloppe, et permet de ne lâcher ni le film ni le fil de sa réflexion.  « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou », écrivait Charles de Foucault, citation mise en exergue au tout début du film. Avec 12 Jours, Depardon nous plonge au cœur de la folie, la plus noire parfois, mais ne nous laisse jamais oublier qu’elle nous concerne tous, individuellement et collectivement.