The Artist : pastiche et mélange

The Artist : pastiche et mélange

Les formes cinématographiques d’hier peuvent-elles encore parler au spectateur d’aujourd’hui ? Avec The Artist, Michel Hazanavicius poursuit dans la voie du pastiche, brillamment inaugurée par les deux OSS. Mais en troquant les nanars sixties d'André Hunebelle pour les chefs d'œuvre du muet (The Artist est tissé de citations aux films de Murnau, Lubistch, Chaplin), il ne se contente pas de légitimer (on imagine mal OSS foulant les marches du palais cannois), en le radicalisant, son art du pastiche : il passe également d'une affection narquoise pour des œuvres mineures et historiquement très marquées à une admiration un rien tétanisante pour des films qui constituent le Graal de la cinéphilie. A leur manière ludique et souvent potache, les deux OSS avaient des choses à nous dire sur notre histoire (voir également notre séance pédagogique) et notre présent. The Artist semble au contraire tourner hermétiquement en rond dans son hommage au carré au cinéma hollywoodien : non content de reprendre avec un soin presque fétichiste les oripeaux du muet (le générique, les intertitres, le format 1 :33), il bâtit un scénario-palimpseste, croisement entre Chantons sous la pluie (pour le passage du muet au parlant) et Une étoile est née (pour le chassé-croisé entre l'étoile montante et la star vieillissante).

Le parallèle avec la comédie musicale de Stanley Donen et Gene Kelly (à voir ce mois-ci sur Cinélycée.fr) éclaire d'ailleurs le curieux paradoxe temporel au cœur de The Artist : Chantons sous la pluie racontait le passage du muet au parlant du point de vue du parlant, fixant dans une scène célèbre l'archétype de l'actrice (ou de l'acteur, le cas le plus célèbre étant John Gilbert) disqualifiée à cause de sa voix de fausset (et littéralement "doublée" par une nouvelle venue). Au contraire, Michel Hazanavicius raconte le passage du muet au parlant du point de vue du muet, se condamnant à une sorte de surplace historique et narratif : après une très réussie séquence de cauchemar "sonorisé", le film revient à son silence, retardant l'inéluctable (entendre la voix des comédiens) jusqu'à la dernière séquence. Une des conséquences de ce surplace est que la fable perd de sa lisibilité (on ne comprend finalement pas bien si c'est Valentin qui refuse le parlant —et pourquoi—, ou si c'est le parlant qui refuse Valentin) et le personnage de sa cohérence (le bellâtre à la Douglas Fairbanks, se transformant en "artist", en créateur maudit à la Griffith).

On ne remettra en cause ni la virtuosité ni la sincérité de The Artist, qui compte quelques idées magnifiques (la pantomime de Peppy avec la veste) et de superbes numéros d'acteur (Jean Dujardin n'ayant pas volé son prix d'interprétation). Mais passée la surprise initiale ou le plaisir référentiel du cinéphile, le film de Michel Hazanavicius peine à provoquer plus qu'une adhésion polie, ne parvenant jamais à dépasser son statut d'"à la manière de". Il reste à répondre à la question de l'intérêt pédagogique du film : par la surface médiatique de la sortie, par la présence en haut de l'affiche de Jean-BricedeNice-Dujardin, The Artist peut-il éveiller les élèves à la forme cinématographique qui leur est sans doute la plus étrangère a priori ? Peut-il leur donner envie de découvrir les chefs d'œuvre de Von Stroheim, King Vidor ou Victor Sjostrom ? Les Rapaces (1925), La Foule (1928) et Le Vent (1928) sont ce mois-ci au programme de Cinélycée.

[The Artist de Michel Hazanavicius. 2011. Durée : Distribution : Sortie le 12 octobre 2011]

Les formes cinématographiques d’hier peuvent-elles encore parler au spectateur d’aujourd’hui ? Avec The Artist, Michel Hazanavicius poursuit dans la voie du pastiche, brillamment inaugurée par les deux OSS. Mais en troquant les nanars sixties d'André Hunebelle pour les chefs d'œuvre du muet (The Artist est tissé de citations aux films de Murnau, Lubistch, Chaplin), il ne se contente pas de légitimer (on imagine mal OSS foulant les marches du palais cannois), en le radicalisant, son art du pastiche : il passe également d'une affection narquoise pour des œuvres mineures et historiquement très marquées à une admiration un rien tétanisante pour des films qui constituent le Graal de la cinéphilie. A leur manière ludique et souvent potache, les deux OSS avaient des choses à nous dire sur notre histoire (voir également notre séance pédagogique) et notre présent. The Artist semble au contraire tourner hermétiquement en rond dans son hommage au carré au cinéma hollywoodien : non content de reprendre avec un soin presque fétichiste les oripeaux du muet (le générique, les intertitres, le format 1 :33), il bâtit un scénario-palimpseste, croisement entre Chantons sous la pluie (pour le passage du muet au parlant) et Une étoile est née (pour le chassé-croisé entre l'étoile montante et la star vieillissante).

Le parallèle avec la comédie musicale de Stanley Donen et Gene Kelly (à voir ce mois-ci sur Cinélycée.fr) éclaire d'ailleurs le curieux paradoxe temporel au cœur de The Artist : Chantons sous la pluie racontait le passage du muet au parlant du point de vue du parlant, fixant dans une scène célèbre l'archétype de l'actrice (ou de l'acteur, le cas le plus célèbre étant John Gilbert) disqualifiée à cause de sa voix de fausset (et littéralement "doublée" par une nouvelle venue). Au contraire, Michel Hazanavicius raconte le passage du muet au parlant du point de vue du muet, se condamnant à une sorte de surplace historique et narratif : après une très réussie séquence de cauchemar "sonorisé", le film revient à son silence, retardant l'inéluctable (entendre la voix des comédiens) jusqu'à la dernière séquence. Une des conséquences de ce surplace est que la fable perd de sa lisibilité (on ne comprend finalement pas bien si c'est Valentin qui refuse le parlant —et pourquoi—, ou si c'est le parlant qui refuse Valentin) et le personnage de sa cohérence (le bellâtre à la Douglas Fairbanks, se transformant en "artist", en créateur maudit à la Griffith).

On ne remettra en cause ni la virtuosité ni la sincérité de The Artist, qui compte quelques idées magnifiques (la pantomime de Peppy avec la veste) et de superbes numéros d'acteur (Jean Dujardin n'ayant pas volé son prix d'interprétation). Mais passée la surprise initiale ou le plaisir référentiel du cinéphile, le film de Michel Hazanavicius peine à provoquer plus qu'une adhésion polie, ne parvenant jamais à dépasser son statut d'"à la manière de". Il reste à répondre à la question de l'intérêt pédagogique du film : par la surface médiatique de la sortie, par la présence en haut de l'affiche de Jean-BricedeNice-Dujardin, The Artist peut-il éveiller les élèves à la forme cinématographique qui leur est sans doute la plus étrangère a priori ? Peut-il leur donner envie de découvrir les chefs d'œuvre de Von Stroheim, King Vidor ou Victor Sjostrom ? Les Rapaces (1925), La Foule (1928) et Le Vent (1928) sont ce mois-ci au programme de Cinélycée.

[The Artist de Michel Hazanavicius. 2011. Durée : Distribution : Sortie le 12 octobre 2011]