Blair save the queen

Blair save the queen

The Queen de Stephen Frears s’inscrit dans la droite lignée des fictions documentaires retraçant l’aventure du pouvoir selon Tony Blair, depuis son irrésistible ascension à la fonction de Prime Minister en 1997 (The Deal, 2003, déjà par le duo Stephen Frears-Peter Morgan), jusqu’aux désillusions du pouvoir (Les années Tony Blair, 2002, et L’affaire David Kelley, 2005, tous deux réalisés par Peter Kosminsky). Ce film offre une représentation passionnante de deux mondes que tout oppose. La Monarchie britannique d’une part, figée dans des cérémoniels protocolaires désuets, et d’autre part la vie politique en effervescence de la fin du XX°siècle, qui voit accéder au pouvoir, après les conservateurs Thatcher et Major, le jeune leader travailliste Tony Blair.La paralysie face au mouvement, l’ordre face au chaos, l’ancien face au nouveau, le flegme silencieux (never complain, never explain) face à l’émotion éloquente : sur le mode de l’antithèse, la caméra de Frears autopsie, au pire une absurdité constitutionnelle, au mieux l’oxymore vivant qu’est le régime anglais. La tension dramatique résulte des rapport de forces entre ces deux pôles qui s’observent en faisant mine de s’ignorer (la reine), ou en marchant sur la pointe de pieds (Tony Blair) à l’occasion de la mort accidentelle de Lady Diana.Mais Frears dépasse la simple ironie pour se livrer à une véritable psychanalyse de l’Angleterre, de plus en plus subtile et touchante à mesure qu’avance le film : la reine incarne en effet un Sur-moi rigide déstabilisé par un Ça populaire débordant d’affliction et de rage à l’annonce de la mort de la princesse Diana. Bousculé, vacillant, le Sur-Moi peine à maintenir l’équilibre et ne trouvera l’issue que dans la création d’un Moi (Tony Blair, magnifique danseur de corde nietzschéen) qui se fait l’écho de la détresse populaire, en ne perdant pas de vue l’intérêt à maintenir un pouvoir obsolète mais nécessaire.Cette trame psychanalytique qui joue sur le refoulement et la reconnaissance, se situe à plusieurs niveaux (qu’on songe à cette reine seule qui s’effondre avant d’apercevoir comme dans un rêve ce "cerf impérial", ou aux remarques appuyées de Cherrie Blair sur l’analogie entre la reine et la mère de son époux). C’est dans ces moments que le film se révèle le plus pertinent, car loin de dénigrer ces personnages en les enfermant dans des bocaux étiquetés "arriviste" pour Blair et "formol" pour la Reine, il les rend humains.Si d’aucuns voient en effet dans le premier ministre anglais un homme qui par goût du pouvoir a renoncé aux valeurs de son parti (c’est peu ou prou la thèse des films de Kosminsky), Frears nous le montre à ses débuts comme celui qui comprend l’identité nationale en accédant au sommet. De fait le terme "révolution" devient une ineptie dans sa bouche et dans nos consciences. Et la Reine prend une vraie ampleur constitutionnelle, symbolique cette fois… Le film est évidemment du pain bénit pour les enseignants d’anglais (version originale impérative), puisqu’il passe largement en revue les éléments constitutifs de la culture britannique : institutions (le Labour Party, la famille royale, le rôle de la presse), lieux (Buckingham Palace, Balmoral Castle), et personnes (Tony Blair, Diana, le duc d’Edimbourg et le prince de Galles). On pourra en faire une utilisation particulièrement intéressante dans le cadre du programme de Première, qui propose justement d’étudier le thème des "Relations de pouvoir" ; et ce d’autant que les images (photos, headlines) et les textes sont faciles à retrouver, notamment les deux discours clés autour duquel le film construit sa dramaturgie : celui de Tony Blair ("She was the peoples princess.") et celui de la reine ("So what I say to you now, as your Queen and as a grandmother, I say from my heart").[The Queen de Stephen Frears. 2006. Durée : 1 h 39. Distribution : Pathé. Sortie le 18 octobre 2006]

The Queen de Stephen Frears s’inscrit dans la droite lignée des fictions documentaires retraçant l’aventure du pouvoir selon Tony Blair, depuis son irrésistible ascension à la fonction de Prime Minister en 1997 (The Deal, 2003, déjà par le duo Stephen Frears-Peter Morgan), jusqu’aux désillusions du pouvoir (Les années Tony Blair, 2002, et L’affaire David Kelley, 2005, tous deux réalisés par Peter Kosminsky). Ce film offre une représentation passionnante de deux mondes que tout oppose. La Monarchie britannique d’une part, figée dans des cérémoniels protocolaires désuets, et d’autre part la vie politique en effervescence de la fin du XX°siècle, qui voit accéder au pouvoir, après les conservateurs Thatcher et Major, le jeune leader travailliste Tony Blair.La paralysie face au mouvement, l’ordre face au chaos, l’ancien face au nouveau, le flegme silencieux (never complain, never explain) face à l’émotion éloquente : sur le mode de l’antithèse, la caméra de Frears autopsie, au pire une absurdité constitutionnelle, au mieux l’oxymore vivant qu’est le régime anglais. La tension dramatique résulte des rapport de forces entre ces deux pôles qui s’observent en faisant mine de s’ignorer (la reine), ou en marchant sur la pointe de pieds (Tony Blair) à l’occasion de la mort accidentelle de Lady Diana.Mais Frears dépasse la simple ironie pour se livrer à une véritable psychanalyse de l’Angleterre, de plus en plus subtile et touchante à mesure qu’avance le film : la reine incarne en effet un Sur-moi rigide déstabilisé par un Ça populaire débordant d’affliction et de rage à l’annonce de la mort de la princesse Diana. Bousculé, vacillant, le Sur-Moi peine à maintenir l’équilibre et ne trouvera l’issue que dans la création d’un Moi (Tony Blair, magnifique danseur de corde nietzschéen) qui se fait l’écho de la détresse populaire, en ne perdant pas de vue l’intérêt à maintenir un pouvoir obsolète mais nécessaire.Cette trame psychanalytique qui joue sur le refoulement et la reconnaissance, se situe à plusieurs niveaux (qu’on songe à cette reine seule qui s’effondre avant d’apercevoir comme dans un rêve ce "cerf impérial", ou aux remarques appuyées de Cherrie Blair sur l’analogie entre la reine et la mère de son époux). C’est dans ces moments que le film se révèle le plus pertinent, car loin de dénigrer ces personnages en les enfermant dans des bocaux étiquetés "arriviste" pour Blair et "formol" pour la Reine, il les rend humains.Si d’aucuns voient en effet dans le premier ministre anglais un homme qui par goût du pouvoir a renoncé aux valeurs de son parti (c’est peu ou prou la thèse des films de Kosminsky), Frears nous le montre à ses débuts comme celui qui comprend l’identité nationale en accédant au sommet. De fait le terme "révolution" devient une ineptie dans sa bouche et dans nos consciences. Et la Reine prend une vraie ampleur constitutionnelle, symbolique cette fois… Le film est évidemment du pain bénit pour les enseignants d’anglais (version originale impérative), puisqu’il passe largement en revue les éléments constitutifs de la culture britannique : institutions (le Labour Party, la famille royale, le rôle de la presse), lieux (Buckingham Palace, Balmoral Castle), et personnes (Tony Blair, Diana, le duc d’Edimbourg et le prince de Galles). On pourra en faire une utilisation particulièrement intéressante dans le cadre du programme de Première, qui propose justement d’étudier le thème des "Relations de pouvoir" ; et ce d’autant que les images (photos, headlines) et les textes sont faciles à retrouver, notamment les deux discours clés autour duquel le film construit sa dramaturgie : celui de Tony Blair ("She was the peoples princess.") et celui de la reine ("So what I say to you now, as your Queen and as a grandmother, I say from my heart").[The Queen de Stephen Frears. 2006. Durée : 1 h 39. Distribution : Pathé. Sortie le 18 octobre 2006]