Copie conforme d'Abbas Kiarostami
La première séquence de Copie Conforme d'Abbas Kiarostami (le premier film que le maître iranien tourne hors de ses frontières), est quasi programmatique : tandis qu'un conférencier anglais présente à un public attentif son dernier livre, dont le sujet porte sur la copie en art, une femme arrive en retard, s'agite au premier rang, bavarde avec son voisin, se dispute avec son fils…
En disjoignant le son (le texte de la conférence, dont on sent qu'il est important pour la suite) et l'image (l'agitation de cette femme), Abbas Kiarostami place son spectateur dans un état d'attention et d'alerte qu'il ne quittera plus jusqu'à la fin de la projection : nous proposant dans le même mouvement l'illusion et sa critique, l'œuvre et son commentaire, Copie conforme est un délicieux tour de force narratif et théorique. Le conférencier (William Shimmel) et la galériste (Juliette Binoche) vont partir ensemble sur les routes de Toscane, et, tout en poursuivant le débat sur la nature de l'œuvre d'art, entamer une sorte de marivaudage mélancolique. Jusqu'à ce qu'à la faveur d'une méprise, le film prenne une dimension totalement inattendue : pris par erreur pour mari et femme par la serveuse d'un café, les deux protagonistes vont s'amuser à ne pas dissiper le malentendu, et se prendre peu à peu au jeu en improvisant sur le canevas d'un couple en crise. Leur improvisation atteindra une telle intensité émotionnelle que l'on finira par douter de ce que l'on a vu : et si c'était dans la première partie du film qu'ils avaient menti, en jouant les parfaits inconnus pour se séduire à nouveau ?
On pourrait gloser des pages et des pages sur Copie conforme tant le film est riche d'implications, évoquer Diderot (Le Paradoxe sur le comédien) Umberto Eco (La guerre du faux), ou la célèbre phrase de Giacometti ("Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat."), replacer le film dans l'œuvre de Kiarostami et sa réflexion sur les frontières entre réalité et fiction (voir le précédent Close-up)… Mais Copie conforme n'est pas qu'une fête de l'intelligence : c'est également un suspense haletant et une émouvante histoire d'amour, portés par une mise en scène d'une suprême élégance (jouant sur les reflets et les surcadrages) et une interprète en état de grâce (un Prix d'interprétation ne serait pas volé). C'est en tout le premier chef-d'œuvre de ce Festival, et ça tombe bien, il est déjà en salles !
Copie conforme d'Abbas Kiarostami, Sélection Officielle en compétition Sortie le 19 mai 2010