Dumas, le prophète et la diversité

Dumas, le prophète et la diversité

On pensait la polémique passée par pertes et fracas, d’autant plus rapidement qu’a été — injustement — bref le passage du film de Safy Nebbou sur les écrans. Mais après le communiqué du CRAN du 3 février 2010, son président Patrick Lozès a fait paraître à quelques jours de la cérémonie des Césars, une nouvelle tribune. Commençant par ces mots : « S’il est un film qui témoigne des difficultés qu’a la France de 2010 à accepter sa propre diversité, au moment où l’on débat de l’identité nationale, c’est bien L’Autre Dumas, de Safy Nebbou », le texte s’attache à démontrer pourquoi « le choix [de casting, ndlr] des producteurs du film est grave » et en appelle au Centre National de la Cinématographie pour « produire des études portant sur la diversité dans le cinéma français » et « conditionner ses aides au respect d’un contrat d’objectif en matière de diversité dans les films. »


Si la cause invoquée, la diversité, est inattaquable, on se permettra d’être dubitatif à la fois sur le diagnostic, et sur le remède proposé. 
Sur le diagnostic d’abord : pour appuyer sa démonstration (« Imaginerait-on un instant de faire jouer Marguerite Duras par l’actrice noire Aïssa Maïga ? ») Patrick Lozès présente Alexandre Dumas comme un « écrivain noir », faisant ainsi de L’Autre Dumas un équivalent contemporain des minstrels shows américains ou du cinéma français colonial (cf Pepe le Moko de Julien Duvivier, dont les rôles d’arabes sont tous tenus par des acteurs blancs). Or, Alexandre Dumas n’était pas plus « noir » que « blanc » : il était, pour reprendre la stricte classification coloniale, « quarteron », petit-fils d’esclave avec un quart de « sang » noir. Si Dumas a pu se définir comme « nègre » dans ses Mémoires, c’est en reprenant et retournant le stigmate raciste. Le faire interpréter par un comédien noir plutôt que par Gérard Depardieu ne serait donc pas plus conforme à la vérité historique. Pour être irréprochable selon les critères du CRAN, aurait-il donc fallu faire appel à un comédien… quarteron ? On voit à quelles absurdités aboutiraient de telles exigences, dont les principales victimes seraient sans doute les comédiens eux-mêmes: un blanc ne pourrait être joué que par un blanc, un noir par un noir, un métis par un métis, un vieux par un vieux, un gros par un gros, etc… ce qui revient in fine à nier le travail de l’interprétation (et la possibilité de la fiction).


Reste que derrière cette revendication se pose un problème plus large : si les comédiens noirs ou « issus de la diversité » (selon la terminologie à la mode) sont rares sur les écrans, c’est bien que les personnages « de couleur » (au sens large), et les sujets les impliquant, le sont tout autant. Faut-il pour autant, comme le réclame le CRAN, assujettir les aides à la production dispensées par le CNC à un nouveau critère, celui de la diversité, dont on se demande d'ailleurs sur quels critèreset selon quelles modalités il pourrait être mis en place ? 
Il se trouve que quelques jours après la tribune de Patrick Lozès, la cérémonie des Césars a accordé un double prix d’interprétation (meilleur acteur/meilleur espoir) totalement inédit à un acteur d’origine maghrébine (jusque là inconnu), Tahar Rahim, et sacré un film qui fait justement un enjeu majeur de l’inscription de nouveaux visages dans le paysage cinématographique, Un Prophète. Le réalisateur Jacques Audiard s’en expliquait dans un entretien accordé au journal Télérama : « J’ai vu [dans ce scénario, ndlr] la possibilité de régler une question qui m’occupait depuis un moment : la représentation d’un monde rarement montré au cinéma, celui que je croise en bas de chez moi, les Arabes qu’on ne voit que dans les films de banlieue ou dans des œuvres très naturalistes, à la frontière du documentaire. Je sentais qu’il y avait une autre image d’eux à développer. Une image fausse, peut-être, mais finalement plus vraie que nature et à laquelle on pourrait s’accrocher. Il ne s’est pas passé, en France ce qui s’est passé avec les Blacks dans le cinéma américain. Pendant des années, il n’y a eu que Sidney Poitier à l’écran et, soudain, ça a été la déferlante. Des personnages ont surgi qui ont tout balayé, comme Samuel Jackson ou Morgan Freeman dans Seven, et puis Obama, qui est beau comme un camion et qui attire la lumière. J’avais vraiment envie de faire des héros de ces personnages qu’on ne voit pas à l’écran, de leur écrire une grande musique.(…) Notre ambition était assez limitée finalement : montrer ces visages et ces corps. On ne peut pas continuer à faire des films entre nous. C’est un manque sociologique mais aussi une impuissance esthétique. » 
On remarquera qu’en 2008, c’est Abdellatif Kechiche qui était célébré par l’Académie pour La Graine et le Mulet*, et son actrice Hafsia Herzi, autre visage de la diversité aujourd’hui promis à une brillant carrière, qui était révélée par les Césars. Le réalisateur tourne actuellement le très attendu Vénus noire, une fiction sur Saartjie Baartman, la « Venus hottentote », qui fut capturée en Afrique et traînée à travers l’Europe comme un phénomène de foire pour son physique stéatopyge.
 Comme quoi, ce sont encore et toujours les auteurs (Jacques Audiard, Abdellatif Kechiche) qui, affranchis des conformismes intellectuels et des contraintes de production (qui imposent le choix de « têtes d’affiche » aux réalisateurs moins côtés) qui peuvent donner au cinéma d’aujourd’hui les couleurs de la société française.

* film qui a également fait l'objet d'attaques pour sa représentation des jeunes maghrébins

On pensait la polémique passée par pertes et fracas, d’autant plus rapidement qu’a été — injustement — bref le passage du film de Safy Nebbou sur les écrans. Mais après le communiqué du CRAN du 3 février 2010, son président Patrick Lozès a fait paraître à quelques jours de la cérémonie des Césars, une nouvelle tribune. Commençant par ces mots : « S’il est un film qui témoigne des difficultés qu’a la France de 2010 à accepter sa propre diversité, au moment où l’on débat de l’identité nationale, c’est bien L’Autre Dumas, de Safy Nebbou », le texte s’attache à démontrer pourquoi « le choix [de casting, ndlr] des producteurs du film est grave » et en appelle au Centre National de la Cinématographie pour « produire des études portant sur la diversité dans le cinéma français » et « conditionner ses aides au respect d’un contrat d’objectif en matière de diversité dans les films. »


Si la cause invoquée, la diversité, est inattaquable, on se permettra d’être dubitatif à la fois sur le diagnostic, et sur le remède proposé. 
Sur le diagnostic d’abord : pour appuyer sa démonstration (« Imaginerait-on un instant de faire jouer Marguerite Duras par l’actrice noire Aïssa Maïga ? ») Patrick Lozès présente Alexandre Dumas comme un « écrivain noir », faisant ainsi de L’Autre Dumas un équivalent contemporain des minstrels shows américains ou du cinéma français colonial (cf Pepe le Moko de Julien Duvivier, dont les rôles d’arabes sont tous tenus par des acteurs blancs). Or, Alexandre Dumas n’était pas plus « noir » que « blanc » : il était, pour reprendre la stricte classification coloniale, « quarteron », petit-fils d’esclave avec un quart de « sang » noir. Si Dumas a pu se définir comme « nègre » dans ses Mémoires, c’est en reprenant et retournant le stigmate raciste. Le faire interpréter par un comédien noir plutôt que par Gérard Depardieu ne serait donc pas plus conforme à la vérité historique. Pour être irréprochable selon les critères du CRAN, aurait-il donc fallu faire appel à un comédien… quarteron ? On voit à quelles absurdités aboutiraient de telles exigences, dont les principales victimes seraient sans doute les comédiens eux-mêmes: un blanc ne pourrait être joué que par un blanc, un noir par un noir, un métis par un métis, un vieux par un vieux, un gros par un gros, etc… ce qui revient in fine à nier le travail de l’interprétation (et la possibilité de la fiction).


Reste que derrière cette revendication se pose un problème plus large : si les comédiens noirs ou « issus de la diversité » (selon la terminologie à la mode) sont rares sur les écrans, c’est bien que les personnages « de couleur » (au sens large), et les sujets les impliquant, le sont tout autant. Faut-il pour autant, comme le réclame le CRAN, assujettir les aides à la production dispensées par le CNC à un nouveau critère, celui de la diversité, dont on se demande d'ailleurs sur quels critèreset selon quelles modalités il pourrait être mis en place ? 
Il se trouve que quelques jours après la tribune de Patrick Lozès, la cérémonie des Césars a accordé un double prix d’interprétation (meilleur acteur/meilleur espoir) totalement inédit à un acteur d’origine maghrébine (jusque là inconnu), Tahar Rahim, et sacré un film qui fait justement un enjeu majeur de l’inscription de nouveaux visages dans le paysage cinématographique, Un Prophète. Le réalisateur Jacques Audiard s’en expliquait dans un entretien accordé au journal Télérama : « J’ai vu [dans ce scénario, ndlr] la possibilité de régler une question qui m’occupait depuis un moment : la représentation d’un monde rarement montré au cinéma, celui que je croise en bas de chez moi, les Arabes qu’on ne voit que dans les films de banlieue ou dans des œuvres très naturalistes, à la frontière du documentaire. Je sentais qu’il y avait une autre image d’eux à développer. Une image fausse, peut-être, mais finalement plus vraie que nature et à laquelle on pourrait s’accrocher. Il ne s’est pas passé, en France ce qui s’est passé avec les Blacks dans le cinéma américain. Pendant des années, il n’y a eu que Sidney Poitier à l’écran et, soudain, ça a été la déferlante. Des personnages ont surgi qui ont tout balayé, comme Samuel Jackson ou Morgan Freeman dans Seven, et puis Obama, qui est beau comme un camion et qui attire la lumière. J’avais vraiment envie de faire des héros de ces personnages qu’on ne voit pas à l’écran, de leur écrire une grande musique.(…) Notre ambition était assez limitée finalement : montrer ces visages et ces corps. On ne peut pas continuer à faire des films entre nous. C’est un manque sociologique mais aussi une impuissance esthétique. » 
On remarquera qu’en 2008, c’est Abdellatif Kechiche qui était célébré par l’Académie pour La Graine et le Mulet*, et son actrice Hafsia Herzi, autre visage de la diversité aujourd’hui promis à une brillant carrière, qui était révélée par les Césars. Le réalisateur tourne actuellement le très attendu Vénus noire, une fiction sur Saartjie Baartman, la « Venus hottentote », qui fut capturée en Afrique et traînée à travers l’Europe comme un phénomène de foire pour son physique stéatopyge.
 Comme quoi, ce sont encore et toujours les auteurs (Jacques Audiard, Abdellatif Kechiche) qui, affranchis des conformismes intellectuels et des contraintes de production (qui imposent le choix de « têtes d’affiche » aux réalisateurs moins côtés) qui peuvent donner au cinéma d’aujourd’hui les couleurs de la société française.

* film qui a également fait l'objet d'attaques pour sa représentation des jeunes maghrébins