Elizabeth, l'Age d'or

Elizabeth, l'Age d'or

"On a le droit de tromper l’Histoire, si c’est pour lui faire de beaux enfants." On ne sait pas s’il existe un équivalent anglais à cette phrase, attribuée à Alexandre Dumas, mais elle s’applique parfaitement à Elizabeth, l’Age d’or de Shekhar Kapur. Ce film est le deuxième volet d’une fresque commencée en 1998 avec Elizabeth (déjà interprétée par Cate Blanchett), qui présentait les premières années du règne d’Elizabeth Ière et l’élaboration du mythe de la "reine vierge", en montrant comment une jeune fille en fleur se transformait peu à peu en icône nationale. Aujourd’hui, Elizabeth, l’Age d’or, s’attache aux événements qui ont permis à Elizabeth d’inscrire son nom dans l’Histoire – ou dans une mythologie nationale : son refus des persécutions religieuses, la victoire de sa flotte sur l’invincible armada, ou l’exécution de Mary Stuart. Du côté du romanesque pur, il lui invente également une intrigue amoureuse, puisqu’Elizabeth tombe sous le charme du navigateur Sir Walter Raleigh (Clive Owen). Ne pouvant céder à son attirance pour lui, elle choisit de le mettre dans les bras de sa dame de compagnie. Les adorateurs de Clio en seront certainement pour leurs frais : comme chez Dumas, le propos du film n’est pas là. Le générique semble poser ce contrat d’emblée : la caméra parcourt des vitraux de couleurs vives où sont représentés les personnages principaux. Stylisation du trait, accentuation des contrastes, et verre déformant : voici le principe esthétique du film de Kapur, qui pousse encore plus loin l’emphase et l’excès que dans le premier opus. Les critiques du film se plaisent à compter le nombre d’anachronismes (un seul exemple : Elizabeth était en réalité plus âgée à l’époque de la guerre contre les Espagnols, et la question de sa descendance ne se posait plus) et d’incohérences (Raleigh plongeant à la dernière minute d’un navire en feu dans une mer déchaînée, et s’en sortant indemne), mais l’intérêt du film est ailleurs. La richesse visuelle, le traitement symboliste des décors et le goût du spectaculaire le rapprochent plus des films en costumes hollywoodiens des années 1940 (à la manière de L’Aigle des Mers de Michael Curtiz) ou, plus récemment, de fresques quasi poétiques comme Hero de Zhang Yimou. Comme ce dernier, Elizabeth, l’Age d’or travaille la palette de couleurs de chaque scène, orchestrant les variations chromatiques comme autant de mélodies (le très graphique site du film joue d’ailleurs sur cette dimension presque fétichiste) : ainsi, Elizabeth est tantôt vêtue de bleu lorsqu’elle converse de voyages outre-atlantique avec Raleigh, tantôt de blanc immaculé lorsqu’elle est en représentation comme "reine vierge" (et s’oppose aux complots des catholiques, associés au rouge sang), tantôt en jaune or lorsqu’elle tient tête aux Espagnols, tous de noir vêtus.C’est sans doute dans la représentation de ces derniers (et de leur roi, Philippe II) que le film trouve ses limites : la caricature est en effet bien lourde, les "méchants" font preuve de l’intégrisme le plus austère et engendrent des catastrophes – même l’effet de serre, dirait-on, puisque l’élaboration de l’armada est d’abord vue sous la forme d’une déforestation intensive et sauvage. Il sera facile d’exploiter le film en cours d’Anglais, bien sûr, mais aussi, comme un contre exemple, en Histoire : on pourrait ainsi opposer l’histoire et le mythe. La déformation et la stylisation du passé ou des grandes figures nationales ne datent pas d’aujourd’hui, et l’on pourrait comparer la scène où l’on voit, en vision du dessus, Elizabeth préparer la bataille en se déplaçant sur le sol où est représentée une carte d’Europe, au célèbre tableau The Armada Portrait, où la figure de la reine séparait deux petits tableaux en arrière-plan, l’Armada espagnole dans toute sa splendeur à gauche, et la débâcle de la même armée dans la tourmente, à droite.

[Elizabeth, l'âge d'or, un film de Shekhar Kapur, 2007. Durée : 114 minutes. Distribution : Studio Canal. Sortie le 12 décembre 2007]

"On a le droit de tromper l’Histoire, si c’est pour lui faire de beaux enfants." On ne sait pas s’il existe un équivalent anglais à cette phrase, attribuée à Alexandre Dumas, mais elle s’applique parfaitement à Elizabeth, l’Age d’or de Shekhar Kapur. Ce film est le deuxième volet d’une fresque commencée en 1998 avec Elizabeth (déjà interprétée par Cate Blanchett), qui présentait les premières années du règne d’Elizabeth Ière et l’élaboration du mythe de la "reine vierge", en montrant comment une jeune fille en fleur se transformait peu à peu en icône nationale. Aujourd’hui, Elizabeth, l’Age d’or, s’attache aux événements qui ont permis à Elizabeth d’inscrire son nom dans l’Histoire – ou dans une mythologie nationale : son refus des persécutions religieuses, la victoire de sa flotte sur l’invincible armada, ou l’exécution de Mary Stuart. Du côté du romanesque pur, il lui invente également une intrigue amoureuse, puisqu’Elizabeth tombe sous le charme du navigateur Sir Walter Raleigh (Clive Owen). Ne pouvant céder à son attirance pour lui, elle choisit de le mettre dans les bras de sa dame de compagnie. Les adorateurs de Clio en seront certainement pour leurs frais : comme chez Dumas, le propos du film n’est pas là. Le générique semble poser ce contrat d’emblée : la caméra parcourt des vitraux de couleurs vives où sont représentés les personnages principaux. Stylisation du trait, accentuation des contrastes, et verre déformant : voici le principe esthétique du film de Kapur, qui pousse encore plus loin l’emphase et l’excès que dans le premier opus. Les critiques du film se plaisent à compter le nombre d’anachronismes (un seul exemple : Elizabeth était en réalité plus âgée à l’époque de la guerre contre les Espagnols, et la question de sa descendance ne se posait plus) et d’incohérences (Raleigh plongeant à la dernière minute d’un navire en feu dans une mer déchaînée, et s’en sortant indemne), mais l’intérêt du film est ailleurs. La richesse visuelle, le traitement symboliste des décors et le goût du spectaculaire le rapprochent plus des films en costumes hollywoodiens des années 1940 (à la manière de L’Aigle des Mers de Michael Curtiz) ou, plus récemment, de fresques quasi poétiques comme Hero de Zhang Yimou. Comme ce dernier, Elizabeth, l’Age d’or travaille la palette de couleurs de chaque scène, orchestrant les variations chromatiques comme autant de mélodies (le très graphique site du film joue d’ailleurs sur cette dimension presque fétichiste) : ainsi, Elizabeth est tantôt vêtue de bleu lorsqu’elle converse de voyages outre-atlantique avec Raleigh, tantôt de blanc immaculé lorsqu’elle est en représentation comme "reine vierge" (et s’oppose aux complots des catholiques, associés au rouge sang), tantôt en jaune or lorsqu’elle tient tête aux Espagnols, tous de noir vêtus.C’est sans doute dans la représentation de ces derniers (et de leur roi, Philippe II) que le film trouve ses limites : la caricature est en effet bien lourde, les "méchants" font preuve de l’intégrisme le plus austère et engendrent des catastrophes – même l’effet de serre, dirait-on, puisque l’élaboration de l’armada est d’abord vue sous la forme d’une déforestation intensive et sauvage. Il sera facile d’exploiter le film en cours d’Anglais, bien sûr, mais aussi, comme un contre exemple, en Histoire : on pourrait ainsi opposer l’histoire et le mythe. La déformation et la stylisation du passé ou des grandes figures nationales ne datent pas d’aujourd’hui, et l’on pourrait comparer la scène où l’on voit, en vision du dessus, Elizabeth préparer la bataille en se déplaçant sur le sol où est représentée une carte d’Europe, au célèbre tableau The Armada Portrait, où la figure de la reine séparait deux petits tableaux en arrière-plan, l’Armada espagnole dans toute sa splendeur à gauche, et la débâcle de la même armée dans la tourmente, à droite.

[Elizabeth, l'âge d'or, un film de Shekhar Kapur, 2007. Durée : 114 minutes. Distribution : Studio Canal. Sortie le 12 décembre 2007]