Habemus papam
On pourrait lire Habemus papam, le nouveau et très attendu film de Nanni Moretti, comme l'exact inverse du Caïman, présenté en Compétition officielle ici même il y a trois ans : après avoir portraituré un homme qui a passé toute sa vie à conquérir le pouvoir et à le conserver (au prix de tous les compromissions), Moretti en imagine un autre qui, au crépuscule de sa vie, refuse la charge écrasante qu'on lui offre sur un plateau. "Tu est Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église" (Tu es Petrus, et super hanc Petram aedificabo Ecclesiam meam), dit le Christ à l'apôtre Pierre (Mathieu, 16, 18), dont la théologie catholique a fait le premier des papes : quant, à peine élu par le conclave, l'ex cardinal et néo-pape Melville (Michel Piccoli), saisi d'effroi, refuse de se présenter au balcon de Saint-Pierre de Rome devant les fidèles en liesse, c'est tout l'édifice catholique que l'on sent prêt à vaciller. Avec ce film, Moretti renoue avec une veine comique que ses précédents films (le corrosif Caïman et le bouleversant La Chambre du fils) avaient quelque peu assombri : Habemus papam est avant tout une délicieuse satire, et il faut en goûter pleinement la légèreté avant de l'alourdir d'interprétations. Moretti fait son miel du contraste entre le decorum du conclave (la Chapelle Sixtine, la pourpre des cardinaux, la liturgie) figé par des siècles de tradition, et la réalité très prosaïque de ces vieux messieurs cloîtrés au Vatican parce que celui qu'ils se sont choisi pour chef recule devant l'obstacle. Mais il réserve autant de fléchettes au monde d'aujourd'hui, celui de l'information en continu (la théorie des envoyés spéciaux qui tentent d'interpréter la vacance pontificale) et du tout-psychanalyse (on se demande par quel conformisme de pensée les services du Vatican en viennent à faire appel à un analyste).
Moretti ne s'intéresse pas vraiment à la question de la foi. A la question de savoir s'il est croyant, à la question de savoir s'il a perdu la foi, le psychanalyste et le pape répondent très simplement, respectivement par oui, et par non. Le film ne s'intéresse pas plus à la psychanalyse : l'exploration de la psyché du pape, tournera très vite court, laissant les deux hommes chacun à sa marotte : le théâtre pour l'un (qui trouve asile parmi une troupe de théâtre qui joue Tchekhov), le volley-ball pour l'autre, qui va organiser dans la cour du Vatican un championnat du monde des cardinaux. Mieux, on a le sentiment que Moretti le Christ et Freud dos à dos : par son échappée belle, le pape affirme qu'il n'est ni l'instrument de la volonté divine, ni le jouet de ses pulsions. Il est absolument libre, et l'effroi de Melville (magnifique Michel Piccoli) est à la mesure de la découverte de cette liberté.
Habemus papam de Nanni Moretti, 104 mn, Sélection officielle (en compétition) Sortie française prévue pour le 7 septembre