Parenthèse utopique

Critique
de Mariana Otero
88 minutes 2010

La sensation que procure Entre nos mains de Mariana Otero est l’apanage des meilleurs documentaires : celle d’être au bon endroit et au bon moment, d’être exactement « là où ça se passe ». 
La réalisatrice de La loi du collège ou Histoire d’un secret a planté sa caméra dans les locaux d’une entreprise textile en faillite, que ses salariés envisagent de racheter via une société coopérative de production (SCOP).

De la présentation du  principe des SCOP par une consultante extérieure, jusqu’à la décision finale des banques, en passant par les hésitations des salariés ou le retour intempestif du patron, le film tient le fil ténu qui mènera à la survie —ou non— de l’entreprise et à la sauvegarde —ou non— des emplois, en s’attachant à quelques-uns des ouvrières appelées à se prononcer sur le projet. 
En montrant cette parenthèse de quelques mois, Entre nos mains parvient non seulement à nous raconter une « histoire » dont bien des fictions jalouseraient l’intensité, à faire vivre des personnages que bien des scénaristes auraient rêvé d’inventer. Elle met également le doigt sur quelques-unes des questions sociales et politiques les plus sensibles du moment : le rapport au travail, l’articulation entre l’individuel et le collectif, la prééminence de l’économique sur le politique… Entre soutiens-gorges et petites culottes, les ouvrières de Starissima se posent tout d’un coup des questions fondamentales : alors que tout (leur intériorisation de la hiérarchie sociale et sexuelle, l'idéologie dominante) les pousseraient à la résignation et à la soumission aux réputées implacables "lois du marché", le projet de SCOP leur montre tout à coup qu’une utopie est concrètement possible, au sein même de leur entreprise. Si Entre nos mains se place sous les auspices du "cinéma direct" à la Frederick Wiseman ou Raymond Depardon (le film fait preuve d’une remarquable économie de moyens), c’est à Jean Renoir que l’on pense, celui de La Règle du jeu ("Ce qui est terrible en ce monde, c’est que chacun a ses raisons") ou du Crime de M. Lange, autre histoire de coopérative. Et c'est à Jacques Demy que le film emprunte un étonnant finale "en-chanté", dont la beauté maladroite n'a d'égale que la mélancolie. Zérodeconduite.net a mis en ligne un dossier pédagogique de 24 pages autour du film.