Harvey Milk : ses amis, ses amours, ses campagnes
Il fallait un peu chercher pour trouver le nom de Gus Van Sant sur les affiches d’Harvey Milk, qui mettaient plutôt en avant, d’un côté la silhouette radieuse de l’acteur Sean Penn, de l’autre la moisson d’éloges critiques et de nominations reçues par le film. Tout le talent du réalisateur américain illumine pourtant le film, même s’il se met cette fois humblement (au rebours des expérimentations formelles de ses derniers films) au service d’un sujet et d’un scénario formidables.
Le sujet est posé dès le générique, constitué d’émouvantes images d’archive en noir et blanc, montrant les persécutions infligées aux homosexuels américains dans les années cinquante et soixante : la lutte pour la reconnaissance des droits des "gays", dans un pays où de rares oasis de liberté (le quartier du Castro à San Francisco, principal décor du film) peinent à éclairer un contexte marqué par un conservatisme moral encore très majoritaire (le film prendra pour fil rouge la croisade anti-homos de l’actrice Anita Bryant) ; cette lutte va être incarnée par un personnage opiniâtre et charismatique, Harvey Milk, qui saura fédérer sa communauté et bien au-delà, pour devenir le premier homme politique ouvertement homosexuel à remporter un mandat électif.Tout a été dit et à juste titre sur la performance d’acteur de Sean Penn, à l’unisson d’une distribution remarquable. Avouons plutôt ici notre admiration pour le scénario de Dustin Lance Black, qui réussit, comme rarement un film biographique ou historique, à tirer et du maëlstrom des dates, des anecdotes, des personnages, un fil narratif prenant, à conserver l’équilibre entre le romanesque et les faits, la vie intime de Milk et sa carrière politique ; qui parvient à rendre justice à l’exubérance du Castro gay des années 1970 sans tomber dans le fol(le)klore ou la caricature ; qui prend enfin en charge avec honnêteté et subtilité "l’affaire" de l’assassinat de Milk (et du maire Moscone) par son collègue Dan White : sans en faire un crime ouvertement homophobe (Milk fut souvent menacé de mort pour ses prises de position et son statut d’emblème) ni le réduire à un simple fait divers.Une des grandes qualités du film est justement la description de la relation entre Milk et Dan White (Josh Brolin, ex. George Bush chez Oliver Stone et cowboy chez les frères Coen), incarnation de l’Amérique éternelle des petits immigrants et de ses valeurs religieuses et morales (la famille, le travail…) : ce qui dans le même temps fascine et repousse White chez Milk, c’est certes son homosexualité mais aussi une habileté politique dont il est dépourvu, dans laquelle il ne tardera pas à voir hypocrisie et cynisme.Car Harvey Milk est un grand film sur la politique, plutôt "raccord" en cela avec l’enthousiasme et l’espoir qu’a soulevé la présidentielle américaine : si Milk parvient finalement à ses fins (se faire élire, repousser un projet de loi homophobe) c’est non pas contre mais en utilisant le système électif américain. Le film montre les vertus du militantisme et la mobilisation, le rôle primordial de l’image et des médias, mais aussi le travail souterrain, moins glorieux mais tout aussi important de l’élu local face à des forces contradictoires.Pour toutes ces raisons, Harvey Milk est à conseiller sans réserve aux lycéens voire aux collégiens à partir de la troisième. Sans doute le premier grand film à aborder la question des droits des homosexuels sans tomber dans l’approche compassionnelle (ou comme le dit le scénariste interviewé par Le Monde, "le premier film hollywoodien où le héros est gay sans s’excuser de l’être"), c’est un beau support pour traiter les questions de l’homophobie sur lesquels l’école commence enfin à se pencher (cf ce récent concours de scénarios).
Harvey Milk de Gus Van Sant. Durée : 2 h 08. Distribution : SND. Sortie le 4 mars 2008