Katyn : requiem pour un massacre

Critique
de Andrej Wajda
120 minutes 2009

"Notre seul objectif est de replacer la Pologne sur la carte de l’Europe !". Le général polonais qui, peu avant son départ pour Katyn en 1940, prononça ces paroles devant ses officiers alors détenus dans les geôles soviétiques, n’imaginait certainement pas que son pays attendrait plus d’un demi siècle pour redevenir une véritable nation, libre et indépendante. Replacée sur la scène internationale au terme de quarante cinq ans de l’implacable domination soviétique, précédés eux-mêmes de cinq longues années d’asservissement nazi, la Pologne, brisée par tant d’épreuves, devait également retrouver sa place dans la mémoire collective. Telle est la tâche que le cinéaste Andrej Wajda a choisi d’assumer tout au long de sa vie. Gardien de la "polonité", porte-parole d’une nation dont la mémoire a trop souvent été réduite à néant par ses puissances voisines, le réalisateur poursuit inlassablement une mission qu’il définit ainsi : "Mes films sont avant tout des films polonais, faits par un Polonais, pour des Polonais". Sa filmographie prend effectivement les traits d’un sacerdoce voué à la narration de l’épopée tragique de la Pologne au XXe siècle. Dans Kanal, il célébrait le drame de l’insurrection de Varsovie. Dans Cendre et Diamant, il rendait hommage à la résistance anti-communiste et dans L’homme de fer, primé au festival de Cannes en 1981, il revenait sur la naissance deu syndicat Solidarnosc.Adaptation du roman Post mortem d’A. Mularczyk, Katyn s’attache désormais à retrouver l’identité d’un peuple mis en croix par deux régimes totalitaires. Massacres, purges et déportations sont autant de stigmates que la nation polonaise porte dans sa chair et sur lesquels le réalisateur a souhaité revenir pour écrire l’histoire véridique de son martyre.

C’est effectivement contre les falsifications historiques colportées par les propagandes nazie et soviétique que Wajda se dresse pour scander des preuves de l’identité polonaise et assurer son émancipation. Il fallait, selon ses propres termes, mettre en pièce "un mensonge sur lequel reposait toute la soumission de la Pologne à Moscou" : le massacre de Katyn. Perpétré par l’Armée rouge et la NKVD, sur l’ordre de Staline en mars 1940, il a conduit à l’exécution sommaire de 22 500 officiers polonais (dont faisait partie le père d'Andrej Wajda). Les charniers sont découverts par les troupes allemandes lors de leur avancée en URSS après la rupture du pacte Ribbentrop-Molotov. Révélé par les Nazis en 1943 pour diaboliser les Soviétiques, le massacre de Katyn est, en 1945, imputé aux Allemands par la propagande communiste. Jusqu’au début des années 1990, il sera alors interdit aux Polonais d’évoquer l’événement.Outre le massacre des officiers polonais, le long-métrage s’intéresse à l’utilisation politique de l’événement et se focalise sur sa perception par les femmes polonaises qui, ignorantes, à l’image de la mère du réalisateur, se sont des années durant bercées de terribles illusions sur le sort de leur époux, de leur fils ou de leur frère. Pour traiter leur interminable calvaire, A. Wajda engage son film dans une voie presque christique. Prise dans la tourmente de la seconde guerre mondiale, la Pologne est sacrifiée sur l’autel du diabolique pacte germano-soviétique. Les premières images du film plantent alors le décor d’un monde déboussolé dans lequel les Polonais ne savent pas auprès de qui se réfugier. Dépecée par deux régimes totalitaires aux prétentions millénaristes, la Pologne perd ses repères traditionnels. Dans un hôpital militaire, le Christ est tombé de sa croix puis est enfoui sous un linceul. Le Messie a disparu, c’est alors aux Polonais de subir le rôle de martyrs. Aux souffrances des officiers qui sacrifient leur vie personnelle à l’intérêt supérieur de leur pays en maintenant vivante l’armée nationale jusque dans les camps soviétiques, répondent les douleurs de leurs femmes qui acceptent d’attendre désespérées leur retour. La survie de la véritable Pologne dépend directement de leur abnégation à protéger la mémoire des victimes des Soviétiques. Il leur faut éviter le péché de la compromission avec l’ennemi qui entend manipuler la mort de leur époux à des fins de propagande. A elles encore le soin de recueillir les effets personnels des officiers assassinés pour les pleurer comme des reliques et les ériger en témoins d’un massacre dont il faut taire le nom. A elles enfin le courage d’Antigone de braver la raison d’Etat pour donner une sépulture à un frère, inscrire ainsi son nom dans l’espace public et constituer de cette façon un point d’ancrage nécessaire aux Polonais pour se réapproprier leur histoire et lutter contre la soviétisation de leur société.

On comprend, à la suite de ces remarques, l’utilité de Katyn pour les enseignants d’histoire qui ont en charge des élèves de Troisième, Première et Terminale générale. Le film constitue une introduction stimulante aux parties du programmes consacrées à l’étude des grandes phases de la Seconde Guerre Mondiale et à l’encadrement totalitaire des sociétés européennes (propagande, purges, massacres). Il ne faudrait pas cependant borner son intérêt à cette simple exploitation pédagogique. Katyn doit être aussi considéré en lui-même comme d’un document historique de première importance pour qui souhaite comprendre l’odyssée polonaise de la seconde moitié du XXe siècle. Le long métrage ne vaut effectivement pas tant pour son réalisme historique que pour son parti pris religieux. Il est bien en cela le produit de l’histoire polonaise contemporaine. En présentant la quête de la vérité, la protection de la mémoire nationale et la survie de l’identité nationale comme autant d’actes de foi, le film constitue en effet un vibrant hommage à un pays qui a réussi à traverser le siècle des totalitarismes en grande partie grâce à sa ferveur catholique.