"La cause principale de la mortalité des abeilles c'est le court-termisme et l'appât du gain"

Entretien
de Markus Imhoof
88 minutes 2013

Olivier Belval est président de l'Union Nationale des Apiculteurs Français (UNAF). Après avoir grandi au sein d'une ferme apicole en Ardèche, il décide de reprendre l'exploitation familiale. Il gère 450 ruches et produit du miel en agriculture biologique. Engagé dans la défense des abeilles et des apiculteurs, il est membre de la Coordination Européenne de l'apiculture créée autour de la problématique des pesticides. Nous l'avons interrogé sur le film de Markus Imhoof et l'état des lieux qu'il dresse

Zérodeconduite : En tant qu'apiculteur, constatez-vous également le syndrome d'effondrement des abeilles décrit dans le film ?

Olivier Belval : A ses débuts, vers 1995, le syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles était appelé "le mal français des abeilles". En France, les premiers apiculteurs qui en ont parlé les ont signalé autour des miellées de tournesols. C'était à l'époque de la mise sur le marché des néonicotinoïdes, le Gaucho en particulier. Et c'est là que tout a commencé. Au départ, on nous regardait, de l'autre côté de l'Atlantique avec une espèce de sourire de dédain, sous-entendant : ''Vous les apiculteurs français, vous ne savez pas élever vos abeilles''. Nous étions, selon eux, touchés par un mal bizarre, d'où l'expression : "Le mal français des abeilles". A partir du moment où c'est devenu un mal américain c'est devenu un problème planétaire. Sauf que le problème a suivi la mise sur le marché de ces produits sur l'ensemble de la planète. Ils ont pour effet de faire perdre la mémoire aux abeilles, de provoquer des problèmes dans leurs rythmes cardiaques, des problèmes de rythmes de battement d'ailes (une aile va battre plus ou moins vite que l'autre), des problèmes de fertilité des mâles, de fertilité des reines.  

Pourquoi l'abeille se meurt ?

O. B. : L'abeille meurt à cause de l'artificialisation de l'environnement. Si l'abeille meurt sur les amandiers californiens, c'est parce qu'ils sont en monoculture généralisée et que l'usage des pesticides dans ces cultures est systématique. L'apiculteur industriel américain qui revient en acceptant d'avoir sacrifié des centaines et des centaines de ruches, est un apiculteur qui accepte de mener ses abeilles-marchandises au casse-pipe. Il a vendu son âme à l'agrochimie, il n'a plus rien à faire de la qualité du vivant. Tout autant que celui qui veut préserver une prétendue "race pure" d'abeilles, Fred Jaggi. Parce que la solidité, la robustesse de l'abeille est justement liée au fait que ses gènes sont mélangés. Elle ne résistera que mieux aux maladies. Face à la maladie dans son rucher, cet apiculteur suisse détruit sa colonie. Il existe d'autres solutions. Faire une apiculture plus en accord avec la nature, avec son environnement. Le problème numéro un ce sont les pratiques agricoles, pas l'apiculteur directement, à l'exception de quelques industriels de l'apiculture.  La cause principale de la mortalité des abeilles ce sont les pratiques agricoles, c'est le court-termisme, c'est l'appât du gain. C'est cela qui nuit aux abeilles. Cette attitude est très répandue chez les agriculteurs en général. Elle existe chez certains apiculteurs qui utilisent l'abeille comme une marchandise. C'est ce vers quoi certaines politiques publiques voudraient nous pousser et ce contre quoi les apiculteurs de France se révoltent. L'avenir de l'apiculture ce sont les petites exploitations qui continuent de produire du miel dans un environnement plus sain. Et pour que l'environnement soit plus sain, il nous faut une agriculture plus raisonnable, qui ne soit pas de la production intensive. Vouloir transformer l'apiculture en un élevage hors sol de plus en plus dépendant des intrans, c'est dramatique pour l'avenir de l'abeille et de notre alimentation. Et cette dernière dépend essentiellement de l'avenir de l'abeille.  

Qu'avez-vous pensé du documentaire de Markus Imhoof ?

O. B. : J'ai été saisi par la beauté des images, et séduit par le ton très personnel. Mais il faut savoir que l'apiculture que filme Markus Imhoof ne correspond pas trop à l'apiculture telle qu'elle se pratique en France et en Europe : l'apiculteur industriel américain qui transporte ses ruches sur des milliers de kilomètres dans l'année, la monoculture intensive de l'amandier, la pollinisation facturée entre 150 et 200 dollars la ruche... De l'autre côté, le "papiculteur" suisse (Fred Jaggi) est au premier abord très sympathique ; mais son discours sur la race pure et l'extermination des ruches malades ne l'est pas du tout.  L'apiculture qui existe majoritairement en France et en Europe, et qui n'est pas montrée dans le film, est représentée par de petits apiculteurs professionnels qui possèdent entre 200 et 400 ruches. En France, on produit du miel. Aux Etats-Unis, on vend un service de pollinisation, dont le miel est un sous-produit. J'ai également été très choqué par les images de pollinisation à la main en Chine. Je ne comprends pas que le gouvernement chinois n'ait pas réalisé que les pesticides ont tué les abeilles. Il devrait les interdire et réintroduire l'abeille.  

Vu l'importance de l'abeille pour l'homme, on est proche d'une catastrophe écologique ?

O. B. : L'abeille est à l'origine de la fécondation de 80 pour cent des plantes et de 35 pour cent de notre alimentation. Cela représente environ trois milliards d'euros pour la France, l'impact direct du service de pollinisation gratuit rendu par les abeilles sur la production agricole. Chaque plante sauvage dépend de la pollinisation des abeilles et la disparition de l'abeille domestique n'est qu'un facteur d'alerte. Notre abeille est une sentinelle dans ce sens parce que toutes les abeilles sauvages disparaissent à présent. On est face à la plus rapide et à la plus vaste des extinctions d'espèces de la planète jamais enregistrées. Si l'abeille disparait, l'humain ne disparaîtra quatre ans après comme on le fait dire à Einstein. Mais la disparition des abeilles est un signal de la disparition massive d'autres espèces qui sont nécessaires à la survie de l'humanité.