La couleur de l'argent

Critique
de Erwin Wagenhofer
107 minutes 2009

Le documentaire sur la mondialisation est-il devenu un genre en soi ? Le même jour que Katanga Business de Thierry Michel sort Let’s make money, le nouveau film de l’Autrichien Erwin Wagenhofer. En 2007, le réalisateur autrichien nous alertait avec We feed the world  sur les dérives économiques, humaines et environnementales d’un "marché mondial de la faim" qui allait aboutir à la crise alimentaire planétaire. Aujourd’hui, Let’s make money se penche sur le "travail de l’argent", à savoir sur le fait que l’argent puisse rapporter hors de tout travail humain ou mécanique ; le film démonte ainsi les rouages d’un système qui a abouti à la crise économique et financière actuelle.

L’enquête menée par Wagenhofer se situe immédiatement sur une échelle mondiale : dès les premières images du film, il apparaît que l’or péniblement extrait au Ghana par des travailleurs misérables est envoyé en Suisse où il est stocké sous forme de lingots parfaitement polis – et rapportera pour 97% aux Occidentaux, pour 3% aux Africains… Tout le documentaire suit les ramifications d’une mondialisation financière qui touche l’ensemble de la planète via fonds de pensions, investissements internationaux, au moyen d’acteurs comme les chefs d’entreprise, les investisseurs, ou encore les gouverneurs de paradis fiscaux ; les contrastes Nord/Sud, les phénomènes transnationaux, le rôle des firmes multi-nationals (FMN) sont ainsi visibles.

Certains faits analysés par Let’s make money sont moins connus du grand public – comme les liens entre la City de Londres et l’île de Jersey, juridiction secrète qui permet à nombre de sociétés de ne pas payer d’impôts tout en disposant de l’intégralité de leur argent à Londres ; ou le fait qu’il existe, entre autres sur la Costa del Sol espagnole, des investissements immobiliers qui tournent littéralement à vide, n’ayant pour but que de faire fructifier de l’argent et non de loger des personnes ; ou, surtout, le rôle d'individus surnommés les "chacals" dont le plus connu, John Perkins, raconte à l’écran la fonction comme il l’a fait dans son livre : ces véritables "assassins financiers" sont envoyés par des grandes entreprises occidentales (cautionnées par leur gouvernement) dans des pays du Sud, qu’ils encouragent à s’endetter auprès du FMI ou de la Banque mondiale afin que, en rupture de paiement, ceux-ci deviennent ensuite dépendants des investisseurs occidentaux – et doivent leur céder leurs matières premières, ou bien se soumettre à leurs exigences diplomatiques…

Enfin, fait intéressant, le documentaire d’Erwin Wagenhofer retrace les étapes de cette mondialisation ultralibérale en rappelant le rôle de la Conférence du Mont Pèlerin de 1947 , qui a inspiré le Consensus de Washington des années 1970 ainsi que le néolibéralisme impulsé par Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans les années 1980.Les élèves de Terminale générale trouveront donc des images et des témoignages concrets sur un système complexe et dont il leur faut connaître les principaux ressorts. Toutefois le propos est tellement virulent contre les profiteurs de la mondialisation financière qu’il en vient parfois à flirter avec la théorie du complot. Procédant hélas à quelques fâcheuses simplifications (sur les relations entre investisseurs et lieux d’investissement par exemple), Let's make money privilégie le sensationnel (ainsi les déclarations cyniques de quelques entrepreneurs sans âme : "Le meilleur moment pour acheter, c’est lorsque le sang se répand dans les rues. Même si c’est le vôtre.") à une analyse approfondie de la complexité de la situation (à la différence de Katanga Business). Bien que divisé en chapitres qui veulent guider le raisonnement, le film se perd dans les méandres des flux financiers dont on ne comprend pas toujours la logique. Il ne faut pas chercher à y trouver une compréhension globale de la mondialisation financière, mais plutôt quelques éclairages latéraux.