La Rafle : au revoir les enfants

La Rafle : au revoir les enfants

Quel tribut doit-on payer au devoir de mémoire ? Rose Bosch et Ilan Goldman ont décidé. Pour eux, ce sera un long métrage. Loin des films légers qui ont assuré leur notoriété (I. Goldman est le producteur des Rivières pourpres, de L’Enquête corse et de La Môme), ils proposent de livrer La Rafle comme une offrande à la mémoire des juifs français déportés lors de la Seconde Guerre Mondiale. Leurs intentions sont claires : il s’agit d’émouvoir, d’instruire et de créer le souvenir. Un triple objectif à porter comme une croix, avec application.

La filmographie sur le Vel d’Hiv fait défaut ou, à l’instar des Guichets du Louvre de Michel Mitrani (1974) et de M. Klein de Joseph Losey (1976), n’aborde le sujet qu’indirectement ? Leur œuvre doit pallier le manque. Les documents d’époque, films ou photographies, se font rares ? La Rafle endosse la lourde et surprenante responsabilité de reconstituer les images de l’événement. Ouvert sur des archives présentant Hitler en visite à Paris en 1940, le long-métrage passe sans complexe des petits films tournés au Nid d’Aigle à ses propres séquences, dans l’intention assumée de mimer le vrai et de se hisser au rang du document d’époque. A l’origine de cette prétention annoncée au début du film et répétée à sa fin (« Tous les personnages du film ont existé. Tous les événements, même les plus extrêmes, ont eu lieu cet été 1942 »), on trouve un long et minutieux travail mené par Rose Bosch sur des documents d’époque ou sur des témoignages de survivants, le tout étant supervisé par Serge Klarsfeld, en gage d’historicité. Effectivement, rien n’est faux. Tout reste cependant vraisemblable et aseptisé. De faux Pétain, Laval, Bousquet, Himmler et Hitler s’agitent, peu inspirés, pour mimer la véracité historique. On est loin des performances d’un Bruno Ganz dans La Chute ou, à l'autre extrême du spectre cinématographique, de l’émotion provoquée par les récits bruts de Shoah de Claude Lanzmann. L’événement est tragique ? Il faut alors créer l’émotion avec une mise en scène convenue, qui s’attache à faire ce qu’il faut quand il faut. R. Bosch suit pas à pas la famille de S. Weisman (Gad Elmaleh) pour immerger le spectateur dans l’atmosphère de l’époque. Elle adopte le point de vue des enfants pour exhiber le pathos du drame, sans retrouver l’inspiration artistique d’un Roman Polanski dans Le Pianiste ou d’un Spielberg dans La Liste de Schindler. La réalisatrice multiplie les mouvements de caméra pour rythmer un spectacle qui peine à mêler grand spectacle et ressorts mélodramatiques : caméra aérienne pour donner la mesure des conditions de vie inhumaines des juifs enfermés dans le Vel d’hiv, caméra au poing lors des violences policières, plans fixes en revanche pour les scènes de négociation entre la police française et la gestapo ou bien entre Laval et Pétain. La responsabilité des autorités françaises dans le drame du Vel d’hiv a attendu un demi-siècle pour être reconnue officiellement dans un discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995 ? Il faut dès lors enfoncer le clou, informer les Français et appuyer les programmes scolaires à grand coup de tapage médiatique, comme lors de l'inédite soirée télévisée du 9 mars sur France 2. Le film est de toute façon taillé sur mesure pour les élèves de Troisième et de Première. Le sujet est traité méthodiquement : au début, la vie difficile mais joyeuse de quelques familles juives de Montmartre à l’été 1942 ; ensuite, leur calvaire au Vel d’Hiv ; enfin leur transfert depuis le camp de Beaune-la-Rolande vers les camps d’extermination en Pologne. Les thématiques au programme sont envisagées dans leur ensemble, à l’aide d’une succession hachée de petites scènes aussi courtes que démonstratives : la collaboration d’Etat de Pétain, Laval et Bousquet ; les rapports police / gestapo ; la prise de décision d’Hitler (version intentionnaliste, car il aurait tout prévu depuis Mein Kampf), l’antisémitisme français, l’héroïsme de quelques résistants, l’indifférence des Alliés, l’incrédulité des juifs, les conditions de déportations… Bref, une panoplie pédagogique complète pour un film à livrer clés en main aux enseignants, avec en supplément une belle synthèse pour traiter en Terminale L et ES l’histoire de la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale : dans le long métrage, on trouve un peu de résistants, un peu de collabos et beaucoup d’indifférents plus ou moins indignés. Tronquée, partielle, passionnée, partisane, inexacte, plurielle… la mémoire, ce n’est pas l’histoire. Ce n’est pas non plus La Rafle qui en prend l’exact contrepied : synthétique, complet, plein de bons sentiments, motivé par de sages résolutions… Le film peinera sans doute à rester dans les mémoires, si ce n'est peut-être dans celles d'une génération de collégiens…

[La Rafle de Rose Bosch. 2009. Durée : 1 h 55. Distribution : Gaumont. Sortie le 10 mars 2010]

Quel tribut doit-on payer au devoir de mémoire ? Rose Bosch et Ilan Goldman ont décidé. Pour eux, ce sera un long métrage. Loin des films légers qui ont assuré leur notoriété (I. Goldman est le producteur des Rivières pourpres, de L’Enquête corse et de La Môme), ils proposent de livrer La Rafle comme une offrande à la mémoire des juifs français déportés lors de la Seconde Guerre Mondiale. Leurs intentions sont claires : il s’agit d’émouvoir, d’instruire et de créer le souvenir. Un triple objectif à porter comme une croix, avec application.

La filmographie sur le Vel d’Hiv fait défaut ou, à l’instar des Guichets du Louvre de Michel Mitrani (1974) et de M. Klein de Joseph Losey (1976), n’aborde le sujet qu’indirectement ? Leur œuvre doit pallier le manque. Les documents d’époque, films ou photographies, se font rares ? La Rafle endosse la lourde et surprenante responsabilité de reconstituer les images de l’événement. Ouvert sur des archives présentant Hitler en visite à Paris en 1940, le long-métrage passe sans complexe des petits films tournés au Nid d’Aigle à ses propres séquences, dans l’intention assumée de mimer le vrai et de se hisser au rang du document d’époque. A l’origine de cette prétention annoncée au début du film et répétée à sa fin (« Tous les personnages du film ont existé. Tous les événements, même les plus extrêmes, ont eu lieu cet été 1942 »), on trouve un long et minutieux travail mené par Rose Bosch sur des documents d’époque ou sur des témoignages de survivants, le tout étant supervisé par Serge Klarsfeld, en gage d’historicité. Effectivement, rien n’est faux. Tout reste cependant vraisemblable et aseptisé. De faux Pétain, Laval, Bousquet, Himmler et Hitler s’agitent, peu inspirés, pour mimer la véracité historique. On est loin des performances d’un Bruno Ganz dans La Chute ou, à l'autre extrême du spectre cinématographique, de l’émotion provoquée par les récits bruts de Shoah de Claude Lanzmann. L’événement est tragique ? Il faut alors créer l’émotion avec une mise en scène convenue, qui s’attache à faire ce qu’il faut quand il faut. R. Bosch suit pas à pas la famille de S. Weisman (Gad Elmaleh) pour immerger le spectateur dans l’atmosphère de l’époque. Elle adopte le point de vue des enfants pour exhiber le pathos du drame, sans retrouver l’inspiration artistique d’un Roman Polanski dans Le Pianiste ou d’un Spielberg dans La Liste de Schindler. La réalisatrice multiplie les mouvements de caméra pour rythmer un spectacle qui peine à mêler grand spectacle et ressorts mélodramatiques : caméra aérienne pour donner la mesure des conditions de vie inhumaines des juifs enfermés dans le Vel d’hiv, caméra au poing lors des violences policières, plans fixes en revanche pour les scènes de négociation entre la police française et la gestapo ou bien entre Laval et Pétain. La responsabilité des autorités françaises dans le drame du Vel d’hiv a attendu un demi-siècle pour être reconnue officiellement dans un discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995 ? Il faut dès lors enfoncer le clou, informer les Français et appuyer les programmes scolaires à grand coup de tapage médiatique, comme lors de l'inédite soirée télévisée du 9 mars sur France 2. Le film est de toute façon taillé sur mesure pour les élèves de Troisième et de Première. Le sujet est traité méthodiquement : au début, la vie difficile mais joyeuse de quelques familles juives de Montmartre à l’été 1942 ; ensuite, leur calvaire au Vel d’Hiv ; enfin leur transfert depuis le camp de Beaune-la-Rolande vers les camps d’extermination en Pologne. Les thématiques au programme sont envisagées dans leur ensemble, à l’aide d’une succession hachée de petites scènes aussi courtes que démonstratives : la collaboration d’Etat de Pétain, Laval et Bousquet ; les rapports police / gestapo ; la prise de décision d’Hitler (version intentionnaliste, car il aurait tout prévu depuis Mein Kampf), l’antisémitisme français, l’héroïsme de quelques résistants, l’indifférence des Alliés, l’incrédulité des juifs, les conditions de déportations… Bref, une panoplie pédagogique complète pour un film à livrer clés en main aux enseignants, avec en supplément une belle synthèse pour traiter en Terminale L et ES l’histoire de la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale : dans le long métrage, on trouve un peu de résistants, un peu de collabos et beaucoup d’indifférents plus ou moins indignés. Tronquée, partielle, passionnée, partisane, inexacte, plurielle… la mémoire, ce n’est pas l’histoire. Ce n’est pas non plus La Rafle qui en prend l’exact contrepied : synthétique, complet, plein de bons sentiments, motivé par de sages résolutions… Le film peinera sans doute à rester dans les mémoires, si ce n'est peut-être dans celles d'une génération de collégiens…

[La Rafle de Rose Bosch. 2009. Durée : 1 h 55. Distribution : Gaumont. Sortie le 10 mars 2010]