Les Adieux à la Reine : la Révolution vue de Versailles

Critique
100 minutes 2012

« 14 juillet : rien. » Ce bref extrait du journal de Louis XVI est resté célèbre comme le symbole (largement trompeur, d’après Philippe Lejeune qui a analysé les journaux du 14 juillet 1789) de l’aveuglement tragique de la monarchie devant l’histoire en marche… Montrer la Révolution du côté non de ceux qui la firent mais de ceux qui la subirent, filmer non le peuple en colère mais l’aristocratie apeurée, non pas Paris en ébullition mais Versailles se réveillant de sa torpeur, c’est tout le projet des Adieux à la reine.
Adapté du roman du même nom de Chantal Thomas (Les Adieux à la reine, Seuil, 2002), le vingtième film de Benoît Jacquot prend le parti de raconter les trois journées des 14, 15 et 16 juillet (de la prise de la Bastille au renvoi du ministre Breteuil), d’un unique point de vue : celui du personnage de Sidonie Laborde, lectrice de la Reine, vivant dans un galetas avec la pléthorique domesticité de la Cour, mais disposant de par sa fonction d’un accès privilégié à la souveraine. Au cours de ces trois journées et autant de nuits, vont se jouer deux drames en parallèle : au premier plan la relation triangulaire entre la reine Marie-Antoinette (Diane Kruger), sa favorite la duchesse de Polignac (Virginie Ledoyen), et sa jeune lectrice énamourée (Léa Seydoux) ; au second plan l’amorce de la chute de l’Ancien Régime
Chantal Thomas menait son récit au passé, à travers les souvenirs de sa narratrice vieillie et exilée (à Vienne). En adaptant le roman, Benoît Jacquot a choisi le parti pris inverse : raconter cette histoire au présent, du seul point de vue de Sidonie (que le film ne quittera pas d’une semelle), oublier volontairement toute l’historiographie pour mieux faire revivre l’impossible conscience du moment historique… Ce parti pris d’une focalisation interne donne tout son intérêt et sa tension au film : ce qu’il perd en clarté (les non-spécialistes auront du mal à s’y retrouver) et en pédagogie (les enseignants pourront être frustrés), il le gagne en authenticité et en puissance d’évocation. Benoît Jacquot nous fait revivre heure par heure le désarroi et l’angoisse des nobles (fantomatique ballet de bougies dans un couloir du château, quand les aristocrates découvrent avec effroi la liste des 286 têtes à couper), les interrogations du petit peuple des domestiques qui reconstituent le fil des événements à partir des nouvelles venues de Paris et des conversations de leurs maîtres. Particulièrement frappante pour un spectateur d’aujourd’hui (habitué à l’omniscience et à l’instantanéité) est la façon dont est montrée la circulation de l’information, par la voix (les nouvelles se déformant en rumeurs) ou l’écrit (les libelles et autres pamphlets introduits au Château).
Le film propose également un portrait subtil de la Reine Marie-Antoinette, une des figures révolutionnaires les plus appréciées des cinéastes, qu’ils la condamnent (voir le portrait qu'en fait Jean Renoir dans La Marseillaise, 1938) ou la défendent (dans la tradition du mélodrame américain, depuis W.S. Van Dyke jusqu’à Sofia Coppola). Vue à travers les yeux fascinés et avides de Sidonie (cette relation de dévotion entre une jeune fille et une "célébrité" est transposable aujourd'hui), la reine se présente alternativement comme une diva inaccessible et tyrannique et comme une femme étonnamment proche et humaine, comme une écervelée frivole faisant dessertir puis ressertir tous ses bjioux, puis comme un animal à sang froid. Comme si ces quelques jours de panique la mettaient littéralement « dans tous ses états ». Dix-huitiémiste distingué (il a réalisé Sade, La Fausse suivante, mais également une adaptation télévisuelle de La Vie de Marianne) lecteur passionné (la moitié de ses films de cinéma sont des adaptations), Benoît Jacquot a trouvé dans le roman de Chantal Thomas la matière de l'une de ses plus belles œuvres.