Le procès du siècle©SND

Le Procès du siècle : la vérité pour l’Histoire

Critique
de Mick Jackson
110 minutes 2017

Jugement à Nuremberg, Douze hommes en colère, La Controverse de Valladolid, Bamako…

En mettant en scène de manière ritualisée et condensée des confrontations autour de grandes questions historiques, sociétales ou philosophiques, les grands procès (qu’ils soient historiques ou fictifs) ont toujours constitué un matériau de choix pour les scénaristes et avant eux les dramaturges.

L’affaire dépeinte dans Le Procès du siècle ne fait pas exception, proposant une réflexion sur le rapport à la vérité et à l’Histoire qui ne manquera pas de faire écho au contexte actuel.

En 1996, David Irving, écrivain britannique à succès ayant basculé dans le révisionnisme, attaque en justice Déborah Lipstadt, universitaire américaine spécialiste de la Shoah. La charge de la preuve revenant à la défense (c’est le cas dans les procès en diffamation dans le système judiciaire anglais), les avocats de Lipstadt vont devoir rien moins que démontrer l’existence des chambres à gaz.

À l’heure de la post-vérité et des « faits alternatifs », on voit ce qui fait l’actualité de ce « Procès du siècle » : la critique d’une société du spectacle où le fracas des opinions a supplanté la recherche de la vérité. Le film montre bien comment Irving, jouant parfaitement de ses codes, parvient à saturer l’espace médiatique, en imposant par exemple à la une de tous les journaux anglais le slogan négationniste « no holes, no Holocaust » [« pas de trous, pas d’Holocauste », soit l’idée selon laquelle l’absence de trous visibles dans le toit des chambres à gaz d’Auschwitz prouverait qu’aucun Juif n’a été gazé dans le camp].

Malheureusement, un grand procès ne fait pas toujours un bon film, surtout quand celui-ci tombe dans les travers qu’il entend dénoncer. Car tout comme Irving, Le Procès du siècle cède aux facilités de la simplification, du bon mot et du spectacle à peu de frais. Le procès, qui occupe toute la seconde moitié du film, n’est ainsi que très partiellement reproduit à l’écran : Mick Jackson, le réalisateur, se contente d’en isoler des instants dramatiques, sans s’attacher à restituer la complexité de l’argumentation développée par les avocats de Lipstadt.

De même, le traitement du personnage principal, Déborah Lipstadt (Rachel Weisz), est en totale contradiction avec le message du film. Là où les avocats de l’universitaire américaine lui expliquent qu’elle n’est qu’un prétexte (l’enjeu du procès est bien de prouver, scientifiquement, l’existence de la Shoah), le film s’évertue à lui donner une place centrale dans la narration, consacrant de nombreuses scènes à ses états d’âme, sans vraiment nous en apprendre plus sur le du personnage.

Si l’on ajoute la propension du réalisateur à prendre le spectateur pour un idiot, surlignant les enjeux de l’intrigue par des dialogues explicatifs ou une mise en scène lourdement insistante (ainsi ce plan sur le visage ému d’un personnage suivant les images pourtant très fortes des tas de valise et de chaussure de déportés d’Auschwitz), on comprendra que le Procès du Siècle présente un intérêt cinématographique et pédagogique très relatif. Si le film permettra à la rigueur d’initier un débat sur la liberté d’expression (en cours d’Éducation Morale et Civique), il n’est pas assez consistant pour permettre d’aborder sérieusement la question du négationnisme. Tout au plus interrogera-t-il les professeurs d’Histoire sur leur propre pratique du métier : à l’heure où les derniers témoins disparaissent et où certains sont tentés de réécrire l’Histoire, comment s’assurer que la science ne cède pas face à l’idéologie ?