Fahim © Wild Bunch Distribution

"Le sport est vecteur d’intégration : il permet de dépasser les barrières linguistiques et culturelles"

Entretien
de Pierre-François Martin-Laval
107 minutes 2019

Vos travaux portent sur les liens entre sport et immigration. Le film promeut cette image du sport comme langage universel, qui permet de dépasser les barrières linguistiques et culturelles. Le sport est-il un vecteur efficace d’intégration ? 

Le sport est bien sûr un vecteur d’intégration, notamment parce qu’il s’agit d’un langage qui dépasse les barrières linguistiques et culturelles. Des disciplines comme les échecs ou le football sont universelles et pratiquées presque partout dans le monde. Le sport offre ainsi la possibilité de passer entre les « mailles culturelles » qui empêchent certaines populations de se croiser. Un autre facteur d’intégration important est le fait que le sport se pratique la plupart du temps en équipe, ou (pour les sports dits « individuels ») dans le cadre de structures collectives comme les clubs : on est obligés de s’entendre, de développer des stratégies et de mettre de côté ses antagonismes, y compris quand on s’oppose. 

Le talent du jeune Fahim est perçu avec plus ou moins de bienveillance par les personnes qu’il croise. Est-il difficile pour les jeunes joueurs de s’intégrer lorsqu’ils arrivent en France ?
 
Les jeunes sportifs comme Fahim rencontrent un double problème : arriver dans un nouveau pays dont il faut assimiler les us et les codes ; arriver dans un groupe, un club, une fédération… dans lesquels on peut être considéré comme un intrus. Le cas de Fahim représente bien ce que des sportifs peuvent ressentir lorsqu’ils arrivent en France. Je ne parle pas des sportifs professionnels qui ont signé un contrat mais plutôt de sportifs qui « tapent à la porte », qui arrivent par des biais détournés ou qui sont clandestins. Beaucoup de jeunes pousses viennent en France tenter leur chance, notamment dans le football. Ils sont aidés par les clubs alors qu’ils n’ont pas de papiers, comme Fahim, mais souvent ils échouent à rejoindre le haut niveau. Ils retombent alors dans une forme de violence sociale parce que leur objectif est rarement atteint. Que faire dans un pays qui vous rejette car vous n’avez pas de papiers ? Cette situation n’est pas neuve : dans les années 50 et 60 à la fin de la colonisation, on voyait déjà des jeunes africains qui venaient tenter leur chance dans les clubs français.

Vous avez montré dans vos travaux que le sport peut-être un facteur d’intégration mais aussi une caisse de résonance du racisme, ce que l’on voit dans le film à travers le comportement de l’adversaire de Fahim et de son entraîneur. Comment expliquez-vous ces deux effets opposés ? 

Le sport entraîne une mise en scène des différences. Parfois celles-ci s’additionnent et font corps pour mener à la victoire, mais parfois elles se crispent et s’opposent. Souvent les mêmes individus ont des comportements qui peuvent être solidaires ou racistes. Il s’agit d’un paradoxe : le sport met en scène des fonctionnements ouverts mais certains de ses pratiquants développent des comportements fermés. On peut observer cela chez les supporters dans les stades de football : ils peuvent supporter une équipe qui comporte plusieurs joueurs de couleur, puis envoyer des bananes sur le terrain pour attaquer un joueur adverse. Le racisme n’est jamais très loin, mais il est tempéré par des formes d’adulation. Il ne faut ni idéaliser, ni diaboliser le sport. 

La réussite de champions qui en sont issus rejaillit-elle positivement sur la perception que les Français ont de l’immigration ? 

Ces cinquante dernières années le sport est devenu central dans nos sociétés. On lui assigne la fonction de mettre en scène l’interculturel, souvent à son avantage, mais parfois à son détriment. Je pense pour ma part que les figures de champions issus de l’immigration ont un impact réel, même s’il est indicible et souterrain. Quand Zinedine Zidane devient un héros français après la victoire en Coupe du Monde, le racisme anti-arabe est très fort en France. Bien sûr, il ne résout pas tous les problèmes mais sa popularité aide à briser des stéréotypes. Un sportif, comme un acteur de cinéma d’ailleurs, peut avoir cet effet positif sur les représentations. À l’inverse, quand ça va mal, on va plaquer d’autres fantasmes sur le sport et les sportifs. Dans les années 2010 par exemple, quand la France était au fond du trou, on a retrouvé accolées à l’équipe de France de football les étiquettes les plus négatives : des « racailles de banlieue », des « jeunes qui ne se tiennent pas » ou ne « s’intègrent pas »… 

Vous avez également travaillé sur la représentation des immigrés au cinéma. Dans quelle veine s’inscrit le film Fahim ?

Le film est assez caractéristique de la manière dont la société a évolué. J’ai beaucoup travaillé sur les films mettant en scène des migrants dans les années 1970, que ce soit des films réalisés par des personnes nées dans les pays décolonisés ou des films de réalisateurs français comme Yves Boisset. Ils mettaient en scène et dénonçaient un racisme virulent, une société crispée, beaucoup plus violente qu’aujourd’hui. À partir des années 1980, on commence à voir des films qui mettent en avant l’interculturel, la capacité à accueillir et à s’entendre. Ces films, dans lesquels on retrouve des acteurs français issus de l’immigration, sont au diapason de ce qui se passe dans la société avec SOS Racisme, la « Marche des beurs », l’intégration des jeunes… Fahim se situe dans la mouvance récente (une dizaine d’années) de films qui se montrent sensibles aux thèmes de l’immigration et de l’intégration, qui mettent en scène les problèmes que les populations qui arrivent sur le territoire peuvent rencontrer. Ils mettent en jeu des histoires positives en dénonçant le racisme et en prenant en considération la nécessité d’agir face à ceux qui prônent la haine. On peut aussi penser à Welcome de Philippe Lioret qui raconte l’histoire d’un maître-nageur qui va aider un jeune clandestin à s’entraîner à la nage pour pouvoir traverser la Manche. C’est une belle histoire sur la tolérance qui rappelle celle de Fahim.

Yvan Gastaut est historien et spécialiste des questions migratoires et du sport. Il est maître de conférences à l’université de Nice Sophia Antipolis et est notamment l’auteur des ouvrages Le football dans nos sociétés (sous la direction de Stéphane Mourlane, éd.Autrement, 2006) et Le métissage par le foot, l’intégration mais jusqu’où, éd.Autrement, 2008).