Les Faussaires : vertige de la fiction, horreur de l'histoire

Les Faussaires : vertige de la fiction, horreur de l'histoire

Faux papiers, fausses identités, fausse monnaie : quoi de plus romanesque et de plus cinématographique que le thème du faux ? Il constitue le ressort d’un grand nombre de films sur la Seconde Guerre Mondiale, variations plus ou moins brillantes sur la guerre entre espions Alliés et ceux de l’Axe, dans les registres dramatique (L’Affaire Cicéron de Mankiewicz) ou comique (To be or not to be de Lubitsch).L’histoire de Salomon Sorowitsch, faussaire de génie impliqué dans l’opération Bernhard (vaste entreprise de contrefaçon de billets de banque lancée par les nazis pour saper les économies alliées), pourrait rentrer dans cette catégorie. A ceci près que Salomon Sorowitsch était juif comme la plupart des autres "faussaires" du titre, et qu’il ne participa qu’à son corps défendant à l’opération Bernhard : sélectionnés par l’administration SS dans tous les camps de concentration européens, les spécialistes (illustrateurs, ouvriers typographes, …) furent regroupés dans le "KZ" de Sachsenhausen pour travailler au projet nazi. Ils bénéficiaient d’un traitement de faveur par rapport aux autres déportés, tout en étant à la merci des nazis.On perçoit ce qu’il y avait de délicat à mêler le vertige de la fiction à la réalité historique de la Shoah. Mais l’intérêt du film, comme le faisait remarquer Christian Bonrepaux dans le Cinéclasse consacré au film, est justement d’aborder la réalité du génocide nazi de manière "oblique". Parqués dans un enclos relativement protégé à l’intérieur du camp de Sachsenhausen (dans l’œil du cyclone en quelque sorte, puisque Sachsenhausen était aussi le QG de l’administration SS), totalement séparés des autres déportés, les faussaires du film ne perçoivent l’étendue de l’horreur concentrationnaire que par bribes. Le moment le plus saisissant du film est d’ailleurs la rencontre entre les deux populations du camp délaissé par les SS à l’arrivée des troupes alliées : les faussaires découvrent avec stupéfaction les silhouettes décharnées des "musulmans" (comme les appelait Primo Levi) ; de leur côté ceux-ci n’arrivent pas à prendre pour des déportés ces détenus si bien portants.Le grand intérêt du film est là, plutôt que dans le portrait ambigu de l’officier nazi qui dirige l’opération, ou dans le dilemme moral qui tiraille les faussaires (sauver sa peau à tout prix ou saboter un projet qui risque de permettre la victoire nazie ?). Mais la grande réussite des Faussaires réside également dans l’interprétation magistrale de l’acteur Karl Markowics, qui campe un Sorowitsch ambigu, à la fois foncièrement amoral et profondément humain.Comme nous l’expliquions dans notre précédent article, ce film sobre et pudique recèle en tout cas un vrai intérêt pédagogique pour aborder l’histoire du système concentrationnaire. Les enseignants d’Histoire et d’Allemand trouveront ainsi un dossier pédagogique dans chaque discipline sur le site pédagogique du film, où ils pourront également télécharger le Cinéclasse du Monde de l’Education.[Les Faussaires de Stefan Ruzowitzky. 2007. Durée : 1 h 38. Distribution : Rezo. Sortie le 6 février 2008]

Faux papiers, fausses identités, fausse monnaie : quoi de plus romanesque et de plus cinématographique que le thème du faux ? Il constitue le ressort d’un grand nombre de films sur la Seconde Guerre Mondiale, variations plus ou moins brillantes sur la guerre entre espions Alliés et ceux de l’Axe, dans les registres dramatique (L’Affaire Cicéron de Mankiewicz) ou comique (To be or not to be de Lubitsch).L’histoire de Salomon Sorowitsch, faussaire de génie impliqué dans l’opération Bernhard (vaste entreprise de contrefaçon de billets de banque lancée par les nazis pour saper les économies alliées), pourrait rentrer dans cette catégorie. A ceci près que Salomon Sorowitsch était juif comme la plupart des autres "faussaires" du titre, et qu’il ne participa qu’à son corps défendant à l’opération Bernhard : sélectionnés par l’administration SS dans tous les camps de concentration européens, les spécialistes (illustrateurs, ouvriers typographes, …) furent regroupés dans le "KZ" de Sachsenhausen pour travailler au projet nazi. Ils bénéficiaient d’un traitement de faveur par rapport aux autres déportés, tout en étant à la merci des nazis.On perçoit ce qu’il y avait de délicat à mêler le vertige de la fiction à la réalité historique de la Shoah. Mais l’intérêt du film, comme le faisait remarquer Christian Bonrepaux dans le Cinéclasse consacré au film, est justement d’aborder la réalité du génocide nazi de manière "oblique". Parqués dans un enclos relativement protégé à l’intérieur du camp de Sachsenhausen (dans l’œil du cyclone en quelque sorte, puisque Sachsenhausen était aussi le QG de l’administration SS), totalement séparés des autres déportés, les faussaires du film ne perçoivent l’étendue de l’horreur concentrationnaire que par bribes. Le moment le plus saisissant du film est d’ailleurs la rencontre entre les deux populations du camp délaissé par les SS à l’arrivée des troupes alliées : les faussaires découvrent avec stupéfaction les silhouettes décharnées des "musulmans" (comme les appelait Primo Levi) ; de leur côté ceux-ci n’arrivent pas à prendre pour des déportés ces détenus si bien portants.Le grand intérêt du film est là, plutôt que dans le portrait ambigu de l’officier nazi qui dirige l’opération, ou dans le dilemme moral qui tiraille les faussaires (sauver sa peau à tout prix ou saboter un projet qui risque de permettre la victoire nazie ?). Mais la grande réussite des Faussaires réside également dans l’interprétation magistrale de l’acteur Karl Markowics, qui campe un Sorowitsch ambigu, à la fois foncièrement amoral et profondément humain.Comme nous l’expliquions dans notre précédent article, ce film sobre et pudique recèle en tout cas un vrai intérêt pédagogique pour aborder l’histoire du système concentrationnaire. Les enseignants d’Histoire et d’Allemand trouveront ainsi un dossier pédagogique dans chaque discipline sur le site pédagogique du film, où ils pourront également télécharger le Cinéclasse du Monde de l’Education.[Les Faussaires de Stefan Ruzowitzky. 2007. Durée : 1 h 38. Distribution : Rezo. Sortie le 6 février 2008]