Lettres d'Iwo Jima
Une photographie était au centre de Mémoires de nos pères : les soldats américains dressant le drapeau étoilé sur le Mont Suribachi, immortalisés par le célèbre cliché de Joe Rosenthal, qui allait devenir le temps de la guerre un outil de propagande, puis un support mémoriel (cf la statue du cimetière militaire d’Arlington). Comme le titre du film l’indique, c’est l'écrit qui est au cœur de Lettres d’Iwo Jima : les lettres des combattants japonais (du général au simple soldat) adressées à leur famille, enfouies dans les grottes du mont Suribachi, et exhumées des décennies plus tard par les chercheurs.La différence pourrait paraître anecdotique, mais elle scinde profondément les deux films, à la fois dans leur mode de narration (l’entremêlement des strates temporelles qui faisait toute la complexité de Mémoires de nos pères laisse place à un récit linéaire), leur ton (moins spectaculaire, plus sombre et mélancolique dans Lettres d'Iwo Jima) et leur discours sur l’héroïsme : à travers la photo de Rosenthal et son utilisation par la propagande américaine, Mémoires de nos Pères confrontait l’histoire officielle et la réalité vécue. Lettres d’Iwo Jima privilégie une approche clairement humaniste en superposant au cliché du kamikaze japonais les peurs, les doutes, les affects des combattants qu’il met en scène. Deux beaux personnages se détachent ainsi du théâtre d’ombres que fut de la bataille souterraine du Mont Suribachi, et remettent en cause le cliché du fanatique décidé à mourir dans l’honneur : le général Kuribayashi, américanophile convaincu qui se servira de ses connaissances pour infliger le maximum de pertes à l’ennemi, et le simple soldat Saigo, survivant obstinément pour retrouver sa femme et l’enfant qu’il n’a pas vu naître.Il faudrait aujourd’hui revoir Mémoires de nos pères pour apprécier toutes les résonances, les effets de rime et de contraste, les jeux de champ-contrechamp entre les deux films, et apprécier le diptyque à sa juste valeur. Le projet de la "saga Iwo Jima" reste en tout cas sans précédent dans l’histoire du cinéma, et bénéficie de la maîtrise d’un cinéaste arrivé au faîte de son talent.On renverra à notre mini-site et notamment au dossier pédagogique consacré par Francis Larran au film de Clint Eastwood. S'appuyant sur le programme d'Histoire des Premières Générales et des Terminale STG, il propose d'analyser la bataille d'Iwo Jima comme une bataille typique de la guerre du Pacifique, avant de mener une réflexion plus générale sur la mémoire du conflit.
[Lettres d'Iwo Jima de Clint Eastwood. 2006. Durée : 2 h 19. Distribution : Warner Bros. France. Sortie le 21 février 2007]