Présenté hors-compétition, La Conquête de Xavier Durringer a donc finalement "fait pschittt" (pour reprendre une expression usitée dans le monde politique) : l'hyper-événement annoncé a été tué dans l'œuf à la fois par la concurrence de l'actualité (l'implacable plan média s'est fracassé sur le scandale impliquant un autre personnage public), et par la faiblesse intrinsèque du film. Le lendemain, L'Exercice de l'État de Pierre Schoeller, présenté dans la section Un certain Regard, donnait une version plus fictionnelle (tous les personnages sont inventés), mais tout à fait "raccord" de la politique française. Le film met en scène quelques semaines de la vie de Saint-Jean, ministre des transports plein d'avenir, pris dans le maëlstrom de l'action gouvernementale. Sur un rythme survolté qui lorgne vers les séries télévisées américaines (on s'attendrait presque à entendre tinter l'horloge de 24 heures chrono), on suit Saint Jean et son staff (dircab, dircom, conseillers divers…) gérer dans la même urgence les crises nationales (l'accident meurtrier d'un car scolaire), les grandes orientations d'avenir (un projet de privatisation des gares) et les plans de carrière du ministre (qui finira pas se trouver un nouveau point de chute). A l'instar de La Conquête, L'Exercice de l'État nous dit ce que l'on ne sait que trop : que la politique a définitivement abdiqué devant le jeu des ambitions personnelles et le règne de la communication. Les grandes orientations se décident comme des coups tactiques, l'œil rivé sur les sondages et dans le cadre étroit fixé par les directives européennes. Dans le dossier de presse, le réalisateur dit s'intéresser au "costume" des gouvernants : c'est dire à la fois la séduction et l'absolue vacuité de L'Exercice de l'état, dépourvu à la fois d'épaisseur humaine (quoi de plus banal et triste que l'ambition nue) et de profondeur politique. Sentencieux ("La politique est une meurtrissure permanente") et clinquant (la première séquence onirique, qui lorgne vers le porno-chic, cf Illus.) le film de Pierre Schoeller ne dépasse jamais le stade des clichés (la cruauté de la politque, la solitude du pouvoir, la vitesse, etc). Pire, il semble se gonfler de sa propre importance et s'enivrer d'une énergie qui tourne pourtant à vide. Le spectacle de ces "grands fauves" s'entredévorant entre eux peut provoquer une excitation passage. Une fois dissipée, celle-ci laisse la place à un grand vide et une insigne tristesse.
L'Exercice de l'état de Pierre Schoeller, France-Belgique, 112 mn, Un certain regard