L'hommage de Steven Spielberg au journalisme
Malgré les similitudes entre ces deux « films d’action du journalisme », il est trop tôt pour dire si le long-métrage de Steven Spielberg sera aux Pentagon Papers ce que Les Hommes du président furent au Watergate. D’autant que la postérité intéresse moins Spielberg que le temps présent. Car un an après l’élection de Donald Trump, qui n’a depuis cessé de critiquer les médias mainstream (c'est-à-dire tous ceux qui n'étaient pas acquis à sa cause), l’histoire des Pentagon Papers rappelle que la presse est au service des "gouvernés", pas des gouvernants. Katharine Graham, propriétaire du Washintgon Post à l’époque et héroïne du film, dut en effet choisir entre son attachement au journalisme et sa loyauté envers ses amis, elle qui était notamment proche de Bob McNamara, l’ancien secrétaire d’État à la Défense, fortement impliqué dans les Pentagon Papers. Pour les gouvernés, et contre les gouvernants malhonnêtes, Graham renonça à cette amitié lorsqu’elle décida de publier dans son journal le contenu de ce rapport classifié.
Manifeste pour le temps présent, Pentagon Papers l’est d’autant plus qu’il résonne avec une deuxième actualité, dont on doute cette fois-ci qu’elle avait été anticipée par Spielberg. En plein mouvement #MeToo, et alors qu’Hollywood s’interroge sur les mécanismes de la domination masculine, le récit de l’émancipation de la directrice du Washington Post tombe à pic. Katharine Graham, personnage essentiel du Watergate (pourtant absente des Hommes du président) n’est, au moment des Pentagon Papers, pas encore une passionaria de la liberté d’informer. Propulsée à la tête du journal familial suite aux décès de son père et de son mari, elle évolue dans un monde presqu’exclusivement masculin. Pour mettre en valeur le décalage entre cette femme timide, persuadée d’être une potiche, et l’assurance des hommes qui l’entoure, Spielberg joue notamment sur les costumes, les robes claires de Katharine Graham se détachant au milieu des habits sombres des hommes. Passionnant dans ses enjeux, Pentagon Papers peine toutefois à toujours prendre chair. Spielberg s’en tient à la matière brute – les faits – sans développer la psychologie de ses personnages. Dans le cas de Katharine Graham, dont l’évolution est au centre du récit, ce défaut de caractérisation psychologique limite l’adhésion du spectateur. Présentée comme passive au début du film, elle le reste tout du long, même quand sa décision de publier les Pentagon Papers fait d’elle une héroïne du journalisme d’investigation. Alors qu’on voudrait pleinement s’enthousiasmer de cette transformation féministe, on reste un peu sur se faim.
La densité et l’austérité du film rendront donc nécessaire un travail en amont avec les élèves – pour introduire la période, la présidence Nixon, la guerre du Vietnam et camper les différents protagonistes de l'histoire –, et l'on préconisera plutôt un travail avec des classes de lycée. En Anglais, Pentagon Papers s’inscrira parfaitement dans l’objet d’études « Lieux et formes du pouvoir ». On y trouve en effet de belles réflexions sur les différentes formes du pouvoir (la politique, le juridique, la presse, mais aussi le pouvoir des hommes sur les femmes). Le film, mis en relation avec l’époque actuelle (Wiki… et autres "leaks") et la présidence Trump, pourra également être le point de départ d’une séquence sur la liberté de la presse. En Histoire, Pentagon Papers permettra d’évoquer la guerre du Vietnam, la Guerre froide et les dessous de la puissance américaine à l’époque (« De la guerre froide à de nouvelles conflictualités » dans le programme de Première ; « Les États-Unis et le monde depuis 1918 » en Terminale). Enfin, en Éducation Morale et civique, on pourra traiter, grâce au film, de la liberté de la presse (« La personne et l’État de droit » en Seconde, objet d’étude qui inclut les libertés collectives et la séparation des pouvoirs ; « Les enjeux moraux et civiques de la société de l’information » en Première) ou de la place des femmes dans la société (« Égalité et discrimination » en Seconde).
Philippine Le Bret
Merci à Karin Grosset-Grange, professeure d’Anglais, et à Anaïs Clerc-Boudet, professeure d’Histoire-Géographie EMC, pour leur contribution à cet article