La surprise formelle n’étant plus au rendez-vous (le film reprend, certes avec un égal brio, les procédés de mise en scène — dont l’inspiration théâtrale est fort pédagogiquement analysée dans cet article de Teledoc — de Dogville, générique compris) il était inévitable que Manderlay de Lars Von Trier soit principalement jugé sur son propos.Or celui-ci est aussi confus d’un point de vue historique que passionnant vu sous un angle philosophique.La presse française a choisi la première approche, encouragée il est vrai par les déclarations décousues de Lars Von Trier (voir cet article –en anglais– du quotidien anglais The Guardian où le réalisateur, après avoir évoqué la question de l’esclavage, présente son film comme une charge contre le politically correct mais aussi une allégorie de la guerre en Irak). Libération soumet ainsi le film à deux américains, l’historien Andrew Diamond et l’écrivain Jake Lamar, tandis que Le Monde convoque l’historien français Pap N’Diaye. Ils ont beau jeu de démontrer les amalgames historiques et la confusion idéologique qu’entretient le film, particulièrement sensibles dans la séquence générique finale (Pap N’Diaye : "Ce montage juxtapose sans ordre chronologique particulier des photographies des années 1920, notamment de lynchage par le Ku Klux Klan (…) ; des images d'émeutes urbaines, dont celles qui ont suivi le passage à tabac de Rodney King à Los Angeles en 1992 ; des images du mouvement des droits civiques, (…), entre autres." On peut mentionner aussi des images de la guerre en Irak et un zoom avant sur les twin towers de Manhattan).Il serait toutefois dommage de s’arrêter à ces critiques, Manderlay étant tout sauf un film "à thèse". Il est au contraire peu de cinémas aussi ouverts à la réflexion et aussi riches de questionnements philosophiques. Débarrassé des oripeaux mélodramatiques et manipulateurs de Dogville, Manderlay expose dès le début sa dimension expérimentale et avance de manière dialectique, les faits venant toujours contredire l’idéalisme de Grace.On pourra donc trouver dans Manderlay l’écho de nombreux concepts et de textes philosophiques. Avant peut-être d’y revenir, citons notamment les réflexions de La Boëtie (1530-1563) sur la "servitude volontaire", notion qui aurait pu servir de sous-titre au film.[Manderlay de Lars Von Trier. 2005. Distribution : Les Films du Losange. Sortie le 9 novembre 2005]