Max et les maximonstres : choses sauvages

Max et les maximonstres : choses sauvages

Tirer un long-métrage d’un album de 39 pages et 338 mots ; transposer le style graphique de Maurice Sendak en prises de vues réelles ; confier un best-seller de la littérature enfantine à un des réalisateurs les plus cérébraux d’Hollywood. Cette équation résume la triple gageure que constituait le projet d’adaptation de Max et les Maximonstres par le metteur en scène Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation), et explique l’énorme attente qu’il avait fait naître. Si la séquence d’ouverture du film transpose très littéralement la deuxième planche du livre (affublé d’un costume de loup, Max poursuit son chien une fourchette à la main) elle nous transporte d’emblée très loin des codes lénifiants du cinéma pour enfants : caméra portée, couleurs désaturées, montage "cut", Spike Jonze reste fidèle à son style. Le premier quart d’heure du film, entre bataille de boule de neiges qui tourne mal, rebuffade de la grande sœur et conflit avec la mère, suffira pourtant à nous convaincre de la justesse de cette approche : il ne s’agit rien de moins pour Spike Jonze que de prendre au sérieux le livre de Maurice Sendak et les émois de son héros ; d’accorder au petit Max le même crédit et la même attention qu’aux personnages adultes de ses films précédents. On conviendra que ce n’est pas la pire manière d’être fidèle et au potentiel subversif d’un livre qui, à sa parution en 1963, fit se dresser les cheveux sur la tête des associations de parents ; et à l’esprit de Maurice Sendak qui déclarait notamment : "Au contraire de la propagande assénée dans une grand partie des livres pour enfants, l’enfance n’est qu’en partie un âge de l’innocence. Selon moi, elle est également un temps de sérieux, de confusion et qui comprend une grande part de souffrance." On remarquera ensuite les parallèles entre Max, trouvant un exutoire à sa rage au pays des Maximonstres, et les précédents héros de Spike Jonze : le marionettiste  qui fuyait la grisaille de sa vie en se glissant Dans la peau de John Malkovich, et le scénariste d'Adaptation, enchâssant les récits imaginaires pour échapper à l’angoisse de la page blanche. Spike Jonze met en scène ainsi le conte de Sendak avec le même sérieux et la même logique qu’il suivait les délires de son scénariste Charlie Kaufman, réitérant au passage sa foi dans les pouvoirs narratifs du cinéma (des peluches géantes filmées en décors naturels). Mais, et c’est ce qui fait tout le prix de Max et les maximonstres, il y ajoute une sensibilité qu’on ne lui connaissait pas. Le scénario de Jonze et de Dave Eggers se base sur une connaissance et une compréhension intimes de l’œuvre de Sendak : chaque développement apporté (aussi bien dans la définition, par petites touches subtiles, du personnage de Max, que dans les personnalités délicieusement excentriques des maximonstres) résonne comme un aprofondissement et pas une trahison. Si dans le livre le voyage imaginaire de Max n’était qu’une manière de décharger ses pulsions, en laissant libre cours à ses  "choses sauvages" (les wild things du titre original), il s’enrichit dans le film d’une dimension initiatique : jouissant d’abord de sa liberté et de sa toute-puissance de roi des maximonstres, Max se trouvera bientôt dépassé par les responsabilités, et se surprendra à jeter à la tête des maximonstres les mêmes mots que sa mère lui adressait ("You’re out of control"). Il faut citer ainsi le magnifique plan de Max, apaisé et rassassié, regardant sa mère s’endormir sur la table de la salle à manger : dans le regard du jeune comédien passe un éclair de maturité qui montre, pour paraphraser une autre grand film sur l’enfance, que "l’exercice a été profitable". Comme l’expliquait la psychologue Maria Teresa Sá, "le charme qu’exercent les histoires et les illustrations de Sendak repose sur un don rare pour nommer la qualité et l’intensité  de certains moments de l’enfance et des moments qui nous habitent alors. Au fur et à mesure que nous parcourons ses livres, leur impact reflète l’inquiétante étrangeté et l’étrange familiarité ressenties par chacun à retrouver ces moments à l’intérieur de lui." La beauté du film de Spike Jonze est précisément d’offrir une transcription cinématographique, voire cinétique à cette dimension du livre de Sendak. On pense par exemple à la manière qu’il a de mettre en scène le corps de l'enfant : sa merveilleuse énergie (la bande-annonce, euphorisante, compilait en musique les scènes ou Max courait, sautait, tombait) mais aussi sa bouleversante fragilité (on tremble souvent, avec et pour Max, qui manque d'être écrasé par les Maximonstres).

Alors, Max et les maximonstres, film pour enfants ou film sur l’enfance ? On laissera répondre Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées) : "Pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais, pour enrichir sa vie, il faut en outre qu’elle stimule son imagination, qu’elle l’aide à développer son intelligence et à voir clair dans ses émotions; qu’elle soit accordée à ses angoisses et à ses aspirations ; qu’elle lui fasse prendre conscience de ses difficultés, tout en lui suggérant des solutions aux problèmes qui le troublent."

[Max et les maximonstres de Spike Jonze. 2009. Durée : 1 h 42. Distribution : Warner Bros. Sortie le 16 décembre 2009]

Tirer un long-métrage d’un album de 39 pages et 338 mots ; transposer le style graphique de Maurice Sendak en prises de vues réelles ; confier un best-seller de la littérature enfantine à un des réalisateurs les plus cérébraux d’Hollywood. Cette équation résume la triple gageure que constituait le projet d’adaptation de Max et les Maximonstres par le metteur en scène Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation), et explique l’énorme attente qu’il avait fait naître. Si la séquence d’ouverture du film transpose très littéralement la deuxième planche du livre (affublé d’un costume de loup, Max poursuit son chien une fourchette à la main) elle nous transporte d’emblée très loin des codes lénifiants du cinéma pour enfants : caméra portée, couleurs désaturées, montage "cut", Spike Jonze reste fidèle à son style. Le premier quart d’heure du film, entre bataille de boule de neiges qui tourne mal, rebuffade de la grande sœur et conflit avec la mère, suffira pourtant à nous convaincre de la justesse de cette approche : il ne s’agit rien de moins pour Spike Jonze que de prendre au sérieux le livre de Maurice Sendak et les émois de son héros ; d’accorder au petit Max le même crédit et la même attention qu’aux personnages adultes de ses films précédents. On conviendra que ce n’est pas la pire manière d’être fidèle et au potentiel subversif d’un livre qui, à sa parution en 1963, fit se dresser les cheveux sur la tête des associations de parents ; et à l’esprit de Maurice Sendak qui déclarait notamment : "Au contraire de la propagande assénée dans une grand partie des livres pour enfants, l’enfance n’est qu’en partie un âge de l’innocence. Selon moi, elle est également un temps de sérieux, de confusion et qui comprend une grande part de souffrance." On remarquera ensuite les parallèles entre Max, trouvant un exutoire à sa rage au pays des Maximonstres, et les précédents héros de Spike Jonze : le marionettiste  qui fuyait la grisaille de sa vie en se glissant Dans la peau de John Malkovich, et le scénariste d'Adaptation, enchâssant les récits imaginaires pour échapper à l’angoisse de la page blanche. Spike Jonze met en scène ainsi le conte de Sendak avec le même sérieux et la même logique qu’il suivait les délires de son scénariste Charlie Kaufman, réitérant au passage sa foi dans les pouvoirs narratifs du cinéma (des peluches géantes filmées en décors naturels). Mais, et c’est ce qui fait tout le prix de Max et les maximonstres, il y ajoute une sensibilité qu’on ne lui connaissait pas. Le scénario de Jonze et de Dave Eggers se base sur une connaissance et une compréhension intimes de l’œuvre de Sendak : chaque développement apporté (aussi bien dans la définition, par petites touches subtiles, du personnage de Max, que dans les personnalités délicieusement excentriques des maximonstres) résonne comme un aprofondissement et pas une trahison. Si dans le livre le voyage imaginaire de Max n’était qu’une manière de décharger ses pulsions, en laissant libre cours à ses  "choses sauvages" (les wild things du titre original), il s’enrichit dans le film d’une dimension initiatique : jouissant d’abord de sa liberté et de sa toute-puissance de roi des maximonstres, Max se trouvera bientôt dépassé par les responsabilités, et se surprendra à jeter à la tête des maximonstres les mêmes mots que sa mère lui adressait ("You’re out of control"). Il faut citer ainsi le magnifique plan de Max, apaisé et rassassié, regardant sa mère s’endormir sur la table de la salle à manger : dans le regard du jeune comédien passe un éclair de maturité qui montre, pour paraphraser une autre grand film sur l’enfance, que "l’exercice a été profitable". Comme l’expliquait la psychologue Maria Teresa Sá, "le charme qu’exercent les histoires et les illustrations de Sendak repose sur un don rare pour nommer la qualité et l’intensité  de certains moments de l’enfance et des moments qui nous habitent alors. Au fur et à mesure que nous parcourons ses livres, leur impact reflète l’inquiétante étrangeté et l’étrange familiarité ressenties par chacun à retrouver ces moments à l’intérieur de lui." La beauté du film de Spike Jonze est précisément d’offrir une transcription cinématographique, voire cinétique à cette dimension du livre de Sendak. On pense par exemple à la manière qu’il a de mettre en scène le corps de l'enfant : sa merveilleuse énergie (la bande-annonce, euphorisante, compilait en musique les scènes ou Max courait, sautait, tombait) mais aussi sa bouleversante fragilité (on tremble souvent, avec et pour Max, qui manque d'être écrasé par les Maximonstres).

Alors, Max et les maximonstres, film pour enfants ou film sur l’enfance ? On laissera répondre Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées) : "Pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais, pour enrichir sa vie, il faut en outre qu’elle stimule son imagination, qu’elle l’aide à développer son intelligence et à voir clair dans ses émotions; qu’elle soit accordée à ses angoisses et à ses aspirations ; qu’elle lui fasse prendre conscience de ses difficultés, tout en lui suggérant des solutions aux problèmes qui le troublent."

[Max et les maximonstres de Spike Jonze. 2009. Durée : 1 h 42. Distribution : Warner Bros. Sortie le 16 décembre 2009]