Melancholia

La polémique aura eu un seul mérite : faire revenir le Festival et donc le cinéma à la une de gazettes obnubilées par un autre scandale. Pour le reste, il serait dommage que les provocations dérisoires de l'enfant terrible de Cannes éclipsent l'aura de cette Melancholia, à coup sûr l'un des films les plus maîtrisés dans la déjà longue carrière du réalisateur danois. Melancholia est un poème filmique placé sous le signe de Saturne, qui rend hommage à l'intranquillité et à l'inquiétante étrangeté qui depuis l'antiquité ont nourri la création en Occident. Au seuil de l'œuvre, une suite d'illuminations distendues sur les sublimes accords du Tristan et Ysolde de Wagner, nous donnent le fin mot de l'histoire : l'apocalypse. Le film lui-même est un diptyque, Justine (Kirsten Dunst) puis Claire (Charlotte Gainsbourg), deux sœurs, deux humeurs, deux temporalités, une cérémonie de mariage qui avorte et une fin du monde qui s'accomplit. La planète Melancholia va abolir un monde "bibelot plein d'inanité sonore" (Mallarmé), à l'image de cette fête de mariage, cornaquée à l'américaine par un wedding-planner, délirante d'opulence. Le film cite ou évoque pêle-mêle la célèbre gravure de Dürer (que l'on ne verra pas, même si un cadran solaire géant sous forme de compas trône dans le jardin bien tondu), les toiles angoissées de Bruegel, celles oniriques des pré-raphaélites anglais du XIXème (notamment la célèbre Ophelia de Millais). Images et musiques, tout rappelle la mélancolie de la vieille Europe, telle qu'une exposition magistrale l'avait présentée il y a quelques années au Grand Palais. L'angoisse sourde, semble nous dire Lars von Trier, est européenne et féminine, le calme, la naïveté et l'excès de confiance sont masculins et américains. Deux actrices de cinéma (Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg) personnifient en effet la melancholia sous toutes ses faces, tandis qu'il revient à deux acteurs de séries américaines d'incarner la sérénité ou la maîtrise : Alexander Skarsgård (True Blood) mais surtout Kiefer Sutherland, infatigable Jack Bauer de 24 h Chrono (figure apparemment héroïque dont Von Trier orchestrera la débâcle). Il est tentant de lire ici une critique amusée d'un certain optimisme américain, opposée à l'angoisse existentielle qui nous permettrait d'envisager avec (plus ou moins de) sérénité notre inéluctable finitude. Ainsi la lucidité, aussi déchirante soit-elle, serait une force féminine, ce qu'incarne également la génération précédente, lorsque Charlotte Rampling, implacable (la mère des deux sœurs) affronte sans détours un John Hurt libertin, ironique mais lâche (le père). On pourrait dire que pour une fois, Lars Von Trier a laissé sa fameuse misogynie au vestiaire, s'il ne s'était grassement rattrapé lors de la fameuse conférence de presse.

Melancholia est en tout cas un très beau film sur la dépression, toute faite de fugues (celles de Justine qui n'arrête pas de se sauver de la cérémonie comme un animal tente de s'extraire d'un piège, mais aussi celle finale de Claire) et de paralysies (Claire est raide, Justine n'arrive pas à prendre un bain). Lars Von Trier orchestre, de manière quasi opératique, la vie comme état d'angoisse permanent, avant un finale proprement ravageur.

Melancholia de Lars Von Trier, Danemark, Suède, France, Allemagne, 130 mn, Sélection Officielle (en compétition)

La polémique aura eu un seul mérite : faire revenir le Festival et donc le cinéma à la une de gazettes obnubilées par un autre scandale. Pour le reste, il serait dommage que les provocations dérisoires de l'enfant terrible de Cannes éclipsent l'aura de cette Melancholia, à coup sûr l'un des films les plus maîtrisés dans la déjà longue carrière du réalisateur danois. Melancholia est un poème filmique placé sous le signe de Saturne, qui rend hommage à l'intranquillité et à l'inquiétante étrangeté qui depuis l'antiquité ont nourri la création en Occident. Au seuil de l'œuvre, une suite d'illuminations distendues sur les sublimes accords du Tristan et Ysolde de Wagner, nous donnent le fin mot de l'histoire : l'apocalypse. Le film lui-même est un diptyque, Justine (Kirsten Dunst) puis Claire (Charlotte Gainsbourg), deux sœurs, deux humeurs, deux temporalités, une cérémonie de mariage qui avorte et une fin du monde qui s'accomplit. La planète Melancholia va abolir un monde "bibelot plein d'inanité sonore" (Mallarmé), à l'image de cette fête de mariage, cornaquée à l'américaine par un wedding-planner, délirante d'opulence. Le film cite ou évoque pêle-mêle la célèbre gravure de Dürer (que l'on ne verra pas, même si un cadran solaire géant sous forme de compas trône dans le jardin bien tondu), les toiles angoissées de Bruegel, celles oniriques des pré-raphaélites anglais du XIXème (notamment la célèbre Ophelia de Millais). Images et musiques, tout rappelle la mélancolie de la vieille Europe, telle qu'une exposition magistrale l'avait présentée il y a quelques années au Grand Palais. L'angoisse sourde, semble nous dire Lars von Trier, est européenne et féminine, le calme, la naïveté et l'excès de confiance sont masculins et américains. Deux actrices de cinéma (Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg) personnifient en effet la melancholia sous toutes ses faces, tandis qu'il revient à deux acteurs de séries américaines d'incarner la sérénité ou la maîtrise : Alexander Skarsgård (True Blood) mais surtout Kiefer Sutherland, infatigable Jack Bauer de 24 h Chrono (figure apparemment héroïque dont Von Trier orchestrera la débâcle). Il est tentant de lire ici une critique amusée d'un certain optimisme américain, opposée à l'angoisse existentielle qui nous permettrait d'envisager avec (plus ou moins de) sérénité notre inéluctable finitude. Ainsi la lucidité, aussi déchirante soit-elle, serait une force féminine, ce qu'incarne également la génération précédente, lorsque Charlotte Rampling, implacable (la mère des deux sœurs) affronte sans détours un John Hurt libertin, ironique mais lâche (le père). On pourrait dire que pour une fois, Lars Von Trier a laissé sa fameuse misogynie au vestiaire, s'il ne s'était grassement rattrapé lors de la fameuse conférence de presse.

Melancholia est en tout cas un très beau film sur la dépression, toute faite de fugues (celles de Justine qui n'arrête pas de se sauver de la cérémonie comme un animal tente de s'extraire d'un piège, mais aussi celle finale de Claire) et de paralysies (Claire est raide, Justine n'arrive pas à prendre un bain). Lars Von Trier orchestre, de manière quasi opératique, la vie comme état d'angoisse permanent, avant un finale proprement ravageur.

Melancholia de Lars Von Trier, Danemark, Suède, France, Allemagne, 130 mn, Sélection Officielle (en compétition)