Mesrine, Coluche, héros de notre temps ?
« MESRINE PRÉSIDENT ! »Entendu lors de la séance (bondée) du samedi soir de Mesrine, l’instinct de mort, dans un multiplexe parisien, ce cri invite au parallèle entre le film de Jean-François Richet et le Coluche d’Antoine de Caunes, justement centré sur l’aventure présidentielle du comique ; un parallèle dressé par la plupart des critiques des deux films, et rendu presque flagrant par la concomitance des sorties…La période mise en scène (la France giscardienne), le choix de personnages ambivalents (le bouffon qui entre en politique, le truand qui fait son cirque), la proximité des thématiques (la révolte contre le « système », l’utilisation des médias) : tout invite à rapprocher les deux films, jusqu’à leurs titres respectifs (nom + sous-titre programmatique). On y ajoutera cette ambition nouvelle dans le cinéma français (cf La Môme ou Sagan) ou américain (le Che en deux parties de Steven Soderbergh, qui sortira en janvier) de se détacher des facilités du biopic avec ses trajectoires linéaires et ses schémas explicatifs (traumatisme d’enfance à exorciser ou idéal-idée fixe à accomplir). Les deux héros de De Caunes et Richet sont fracturés, contradictoires, invraisemblables, et les réalisateurs ne prétendent pas dissiper le mystère : "aucun film ne peut prétendre à résumer la vie d’un homme", comme l’annonce, bravache, le carton liminaire de Mesrine.Mais le parallèle invite également à différencier les deux films et ces deux "lieux de mémoire" contemporains que sont Coluche et Mesrine. La principale difficulté du film d’Antoine de Caunes est de réincarner un personnage momifié dans l’inconscient collectif, de retoucher un visage familier à chaque français : assagi après cette aventure politique incertaine qui l’aura presque brisé (c’est l’histoire que raconte le film), Coluche renaîtra plus consensuel en acteur « sérieux » (Tchao Pantin) et en défenseur des pauvres (Les Restos du cœur) avant d’être figé dans cette image par une mort brutale et le succès de son œuvre de charité (la tournée des « Enfoirés » ne rassemble pas précisément la scène alternative et contestataire)…En exhumant une figure quasi-oubliée depuis le début des années 80, en la confiant à un acteur populaire, Vincent Cassel, (le Vinz de La Haine) et à un réalisateur estampillé « banlieue » (Jean-François Richet, Ma 6-T va cracker), en lui restituant une violence sèche qui doit beaucoup au cinéma américain, Mesrine l’instinct de mort fait au contraire mouche et trouve son public. Irrésistiblement mis en scène et interprété comme une "force qui va", le personnage distille une fascination qui ne manque d’ailleurs pas de provoquer un léger malaise : si cette version est présentée par ses promoteurs (l’acteur principal notamment) comme "non hagiographique", on remarquera qu’elle adoucit les aspects les moins bankable du personnage (notamment son racisme anti-arabes)…Quand les comiques ont tellement envahi les médias et inondé les étals qu’il ont perdu toute dimension subversive, le succès auprès de la jeunesse d’une figure de truand sauvage et nihiliste peut passer pour l’inquiétant symptôme d’une violence sociale qui ne demande qu’à exploser à nouveau. Mesrine président ?[Coluche, l’histoire d’un mec d’Antoine de Caunes. 2007. Durée : 1 h 43. Distribution : Mars Distribution. Sortie le 15 octobre 2008][Mesrine, l’instinct de mort de Jean-François Richet. 2008. Durée : 1 h 53. Distribution : Pathé. Sortie le 22 octobre 2008]