Le Dahlia noir ou l'homme qui rit
Il y a peut-être depuis longtemps quelque chose de déceptif dans les films de Brian De Palma. Une part d’artificialité, de cliché qui touche ici le jeu des acteurs aussi bien que la reconstitution du Hollywood de l’âge d’or, comme un irrémédiable décalage entre l’attente du spectateur et le regard ludique et critique de De Palma sur le cinéma. Mais c’est là que réside la force de son projet. Adaptant le roman d’Ellroy, De Palma ne vise pas tant la fidélité à l’oeuvre qu’à son assimilation à sa propre vision de cinéaste, à ses propres obsessions face au cinéma classique américain. Il demande, ainsi, au spectateur d’adopter une forme de distance ironique face à l’étrangeté du monde représenté. Si énigme il y a, elle n’est pas tant alors de savoir qui a tué Elisabeth Short (Le Dahlia noir), énigme non résolue, ressource obscure et obsédante de l’oeuvre d’Ellroy, mais d’arriver à déchiffrer l’image, sa part de vérité comme sa part de mensonge et de manipulation. Tout au long du film, De Palma installe des signes de cette lecture, de ce regard qu’il exige de son spectateur. Film noir, Le Dahlia noir égraine à l’envi les signes et références, plus ou moins subtils, au cinéma américain des années 50. Nombreuses sont ainsi les formes de réécriture que pose De Palma comme autant de clés qui permettent d’avancer dans cette découverte non pas d’un monde reconstitué (Hollywoodland) mais d’un cinéma qu’il s’agit de faire renaître. L’initiation est celle du héros, Bucky Bleichert, comme celle du spectateur qui apprend à aller au-delà du cadre, à l’intérieur de l’image ("Come inside", dernière phrase du film, pour voir comment cela fonctionne, ce que l’image cache d’elle-même).A l’instar du roman, le film consiste, donc, en une démystification de cet âge d’or, le Hollywood des années 50. La possibilité de contempler la fabrication de l’image, d’être au cœur de l’usine à rêves entraîne aussi la nécessité d’en démonter l’artifice, d’aller aussi de l’autre côté du plan.La clé de cette lecture réside peut-être en L’homme qui rit de Hugo. Référence littéraire importante dans le roman d’Ellroy, elle devient, dans l’adaptation de De Palma, une référence au cinéma expressionniste (à travers un extrait d’un film de Paul Leni, voir cette étude par le Groupe Hugo) mais aussi à son œuvre propre, avec la présence fugace mais fondamentale de William Finley, l'acteur qui jouait le Phantom of Paradise. C’est à la croisée de ces mondes que se situe le cinéma de De Palma. Cinéma qui ne vise pas tant à raconter une histoire qu’à démonter et reconstruire des images et sans cesse montrer la seule histoire possible, une histoire du cinéma.[Le Dahlia noir de Brian De Palma, 2006. Durée : 120 mn. Distribution : Metropolitan Filmexport. Sortie : 08 novembre 2006]