Quel est le prix d'une vie humaine ? La réponse à cette question ne sera peut-être pas la même selon qu'on la pose dans les couloirs du service de pédiatrie de pointe d'un grand hôpital de pays développé, ou sur le champ de bataille désolé d'un pays du tiers-monde. C'est un peu cet écart qu'interroge Precious life, le documentaire qu'a consacré le journaliste israélien Shlomi Eldar au combat des parents d'un petit gazaoui, Mohammad, 4 mois. Celui-ci est atteint d'une maladie génétique rare dont le seul traitement possible repose sur une greffe de moëlle osseuse : quand le film commence et que Shlomi Eldar rencontre ses parents, il est hospitalisé dans un établissement israélien en attente d'une opération qui s'annonce coûteuse et incertaine. Le film commence un peu comme un conte de fées, avec l'apparition d'un généreux donateur israélien qui finance l'opération parce que son fils a été tué à la guerre, suite à l'appel lancé par le journaliste à la radio. La voix off omniprésente du journaliste, la musique sirupeuse, l'insistance à traquer l'émotion sur le visage des parents agacent alors un peu, et l'on pense à Sting qui chantait en pleine guerre froide : "I hope the russians love their childrens too". Serait-ce cela, la découverte du film, que les Palestiniens aussi aiment leurs enfants ? Mais tout d'un coup la réalité résiste, et se révèle rétive au conte de fées : infiniment plus complexe, plus riche, plus absurde… C'est le déclenchement en décembre 2008 de la guerre de Gaza qui coupe toute communication entre Israël et Gaza (au moment même où le petit Mohammad aurait besoin d'un traitement d'urgence), qui affuble l'admirable médecin israélien d'un uniforme pour l'envoyer sur le champ de bataille. C'est surtout, un peu plus tard dans le film, une conversation du journaliste avec la mère de Mohammad qui tout d'un coup "dérape" : la jeune femme y déclare, contre toute évidence (on vient de voir ses efforts pour sauver la vie de son fils) que pour elle, comme pour tous les Palestiniens la vie humaine n'a pas de valeur en soi, que seule compte la cause, et qu'elle enverrait avec joie son fils au martyre, celui-là même qu'elle tente à toute force de sauver depuis sa naissance.
Precious Life tire sa force de ce double scandale : d'un pays (Israël) capable à la fois de la plus grande générosité et d'une violence aveugle ; d'un peuple (les Palestiniens) prêt à sacrifier la chair de sa chair dans son combat contre ce voisin qui le domine. La relation à la fois affectueuse et conflictuelle entre la jeune mère et le journaliste devient le centre du film, qui raconte leurs prises de becs, débats, interrogations. Extrêmement émouvant, Precious life s'avère également un des témoignages les plus marquants sur l'inextricable entrelacement de territoires, de passions et de vies humaines que constitue la co-existence plus ou moins pacifique entre Israël et la Palestine…
[Precious Life de Shlomi Eldar. 2010. Durée : 1 h 30. Distribution : Memento Films. Sortie le 23/03/2011]