Rumeurs, complots et protocoles

Rumeurs, complots et protocoles

De même que de ce côté-ci de l’Atlantique on a pu jouer à croire qu’aucun avion ne s’était écrasé sur le Pentagone, une rumeur folle a couru aux Etats-Unis sur les attentats du 11 septembre 2001 : les Juifs avaient été prévenus de l’attaque, aucun n’est allé travailler ce jour-là au World Trade Center.C'est moins le sujet des Protocoles de la rumeur de Marc Levin (son absurdité n’est pas difficile à démontrer), que son point de départ, le prétexte a un voyage mental et physique dans l’antisémitisme contemporain.Marc Levin mène en parallèle une série d’entretiens avec des antisémites américains déclarés (le panel va des néo-nazis du Middle West aux partisans new-yorkais du Hamas) et une réflexion sur la fortune éditoriale du Protocole des Sages de Sion, célèbre faux fabriqué en Russie au début du siècle dernier pour accréditer le mythe du "complot juif".Si la démarche est respectable et la forme souvent percutante (l’auteur de Slam n’a pas son pareil pour capter, à même le bitume des grandes villes, les tensions qui agitent la société américaine), on regrette l’absence d’un réel point de vue : à mesure que les séquences-choc et les thématiques s’accumulent (les conséquences du conflit au Moyen-Orient, la résurgence de l’antisémitisme chrétien —à l’occasion de la sortie de la Passion du Christ de Mel Gibson—, l’antisémitisme afro-américain, le néo-nazisme, les écrits d’Henry Ford, le meurtre de Daniel Pearl, Internet…), le défaut de mise en perspective se fait cruellement sentir.On peut dès lors se montrer sceptique sur l’utilité d’un tel film, qui n’a rien de nouveau à apprendre, et ne prêchera sans doute que des convaincus. Et s’interroger sur nos motivations de spectateur : fascination malsaine pour l’abjection ? besoin de jouer à se faire peur ?[Les Protocoles de la Rumeur de Marc Levin. 2005. Durée : 1 h 28. Distribution : Pretty Pictures Sortie le 23 novembre 2005]Site du film (en anglais) Blog du réalisateurPour ceux qui veulent en savoir plus sur ces fameux Protocoles, on renverra à un support bien plus pédagogique : Le Complot (Grasset, 2005), roman graphique du grand dessinateur américain Will Eisner (1917-2005, voir son site officiel) qui retrace l’origine et la postérité de la mystification. Cette bande dessinée couronne une œuvre hantée par l’antisémitisme : citons notamment, en écho à l’Oliver Twist de Roman Polanski, Fagin le juif, réécriture du roman de Dickens du point de vue de Fagin, ici moins coupable que victime du racisme de la société anglaise.On renverra également au mini-dossier que consacre Le Nouvel Observateur au livre d’Eisner notamment pour l’interview du chercheur Pierre-André Taguieff. Si certaines de ses conclusions sont discutables, il a mérite de proposer une analyse globale de la vogue conspirationniste, mêlant Internet ("Internet c’est l’anti-Lumières"), l’ésotérisme du Da Vinci Code ("sous le couvert d’un ésotérisme de bazar se propage une thématique extrémiste qui bénéficie ainsi d’une audience considérable") et le rôle paradoxal des médias ("C’est un effet paradoxal de la transparence démocratique : plus elle met en lumière les actions des services secrets, des pouvoirs politico-financiers, des groupes mafieux, plus elle nourrit l’imaginaire conspirationniste. Vous y contribuez un peu à votre façon. Le scoop est un peu le Graal de votre métier. Il faut « dévoiler », « révéler », dire la vérité sur… ").

De même que de ce côté-ci de l’Atlantique on a pu jouer à croire qu’aucun avion ne s’était écrasé sur le Pentagone, une rumeur folle a couru aux Etats-Unis sur les attentats du 11 septembre 2001 : les Juifs avaient été prévenus de l’attaque, aucun n’est allé travailler ce jour-là au World Trade Center.C'est moins le sujet des Protocoles de la rumeur de Marc Levin (son absurdité n’est pas difficile à démontrer), que son point de départ, le prétexte a un voyage mental et physique dans l’antisémitisme contemporain.Marc Levin mène en parallèle une série d’entretiens avec des antisémites américains déclarés (le panel va des néo-nazis du Middle West aux partisans new-yorkais du Hamas) et une réflexion sur la fortune éditoriale du Protocole des Sages de Sion, célèbre faux fabriqué en Russie au début du siècle dernier pour accréditer le mythe du "complot juif".Si la démarche est respectable et la forme souvent percutante (l’auteur de Slam n’a pas son pareil pour capter, à même le bitume des grandes villes, les tensions qui agitent la société américaine), on regrette l’absence d’un réel point de vue : à mesure que les séquences-choc et les thématiques s’accumulent (les conséquences du conflit au Moyen-Orient, la résurgence de l’antisémitisme chrétien —à l’occasion de la sortie de la Passion du Christ de Mel Gibson—, l’antisémitisme afro-américain, le néo-nazisme, les écrits d’Henry Ford, le meurtre de Daniel Pearl, Internet…), le défaut de mise en perspective se fait cruellement sentir.On peut dès lors se montrer sceptique sur l’utilité d’un tel film, qui n’a rien de nouveau à apprendre, et ne prêchera sans doute que des convaincus. Et s’interroger sur nos motivations de spectateur : fascination malsaine pour l’abjection ? besoin de jouer à se faire peur ?[Les Protocoles de la Rumeur de Marc Levin. 2005. Durée : 1 h 28. Distribution : Pretty Pictures Sortie le 23 novembre 2005]Site du film (en anglais) Blog du réalisateurPour ceux qui veulent en savoir plus sur ces fameux Protocoles, on renverra à un support bien plus pédagogique : Le Complot (Grasset, 2005), roman graphique du grand dessinateur américain Will Eisner (1917-2005, voir son site officiel) qui retrace l’origine et la postérité de la mystification. Cette bande dessinée couronne une œuvre hantée par l’antisémitisme : citons notamment, en écho à l’Oliver Twist de Roman Polanski, Fagin le juif, réécriture du roman de Dickens du point de vue de Fagin, ici moins coupable que victime du racisme de la société anglaise.On renverra également au mini-dossier que consacre Le Nouvel Observateur au livre d’Eisner notamment pour l’interview du chercheur Pierre-André Taguieff. Si certaines de ses conclusions sont discutables, il a mérite de proposer une analyse globale de la vogue conspirationniste, mêlant Internet ("Internet c’est l’anti-Lumières"), l’ésotérisme du Da Vinci Code ("sous le couvert d’un ésotérisme de bazar se propage une thématique extrémiste qui bénéficie ainsi d’une audience considérable") et le rôle paradoxal des médias ("C’est un effet paradoxal de la transparence démocratique : plus elle met en lumière les actions des services secrets, des pouvoirs politico-financiers, des groupes mafieux, plus elle nourrit l’imaginaire conspirationniste. Vous y contribuez un peu à votre façon. Le scoop est un peu le Graal de votre métier. Il faut « dévoiler », « révéler », dire la vérité sur… ").