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Augustine : l'invention de l'hystérie

Critique
de Alice Winocour
102 minutes 2012

"Hystérique, madame, voilà le grand mot du jour. Êtes-vous amoureuse ? vous êtes une hystérique. Êtes-vous indifférente aux passions qui remuent vos semblables ? vous êtes une hystérique, mais une hystérique chaste (…) Vous êtes ceci, vous êtes cela, vous êtes enfin ce que sont toutes les femmes depuis le commencement du monde ? Hystérique ! hystérique ! vous dis-je. Nous sommes tous des hystériques, depuis que le docteur Charcot, ce grand prêtre de l’hystérie, cet éleveur d’hystériques en chambre, entretient à grands frais dans son établissement modèle de la Salpêtrière un peuple de femmes nerveuses auxquelles il inocule la folie, et dont il fait, en peu de temps, des démoniaques."
Maupassant, "Une femme", chronique parue dans le Gil Blas, 16 août 1882

1885, Paris. Le docteur Charcot (Vincent Lindon), qui dirige à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière un service de plus de 200 lits réservé à des femmes souffrant de convulsions, poursuit ses recherches sur l’hystérie féminine. S’il a acquis une grande notoriété auprès du public parisien par ses fameuses "Leçons" du mardi matin (voir le célèbre tableau de Brouillet), utilisant notamment l'hypnose pour recréer de spectaculaires crises chez ses patientes, il lui reste encore à convaincre définitivement ses pairs. Parmi la masse indistincte des malades, il repère en la personne d’Augustine (interprétée par Soko), personnage historique dont les archives photographiques de l'hôpital gardent la trace (voir l'ouvrage du critique d'art Georges Didi-Hubermann, Invention de l'hystérie), la patiente qui lui permettra d’arriver à ses fins.

Le grand sujet d’Augustine, c’est la fascination-répulsion des hommes pour le désir féminin, ce désir que, dans la société corsetée de la fin du XIXème siècle, l’hystérie permettait d’exprimer, et d’exhiber (d’où le succès des leçons publiques de Charcot). Des bûchers dressés pour les sorcières du Moyen-âge à l’approche scientifique de Charcot, le progrès est indéniable, mais pas dénué d’ambiguïtés. Alors que s’établit une relation de confiance entre Augustine et le médecin, la libido sciendi (indissociable du désir de reconnaissance de Charcot), se confond peu à peu avec la libido tout court, et on ne sait plus si le regard que Charcot porte sur Augustine est celui d’un thérapeuthe, d’un chercheur, d’un esthète (voir les photos d’Augustine qu'il réalisait) ou plus prosaïquement d’un voyeur
En se passant avec une louable rigueur (le débordement de l’hystérie étant précisément dû à l’impossibilité de les exprimer) des mots et des explications, se limitant à une approche strictement behaviouriste de ses personnages, le film nous laisse un peu à distance des émotions d’Augustine ou du trouble de Charcot. Un pied dans l’ancrage documentaire (les témoignages face caméra de patientes d’aujourd’hui dans des costumes d’hier), un autre dans le fantastique fin de siècle (la musique du Dracula de Francis Ford Coppola sur le générique de début), il n'atteint vraiment le vertige escompté que dans son dernier quart d’heure : quand l'héroïne cesse enfin d’être passive pour s’émanciper du désir de Charcot. Magnifique ironie, c’est grâce à une mascarade, celle qu’elle joue devant les membres de l’Académie, que sera enfin reconnue la réalité scientifique de la maladie… Dialoguant, d’une sélection à l’autre, avec le prestigieux Au-delà des collines de Cristian Mungiu, le premier film d’Alice Winocour montre de très belles promesses derrière une ambition complètement aboutie…