Primaire©Studio Canal

Primaire : à l'école de la vie

Critique
de Hélène Angel
105 minutes 2017

Quand elle parle de Primaire, sa réalisatrice explique que le point de départ du film a été l’émotion qu’elle a ressentie quand son fils a quitté son école, en fin de CM2. « Moi je pleurais parce que c’était la fin de l’enfance, lui était excité par la vie qui s’ouvrait devant lui ! J’ai réalisé à quel point l’école marque nos vies d’enfants et de parents ». Quitter l’enfance, c’est peut-être là le cœur du quatrième film d’Hélène Angel. L’un des personnages principaux du film, Sacha, se voit en effet retirer l’un des droits fondamentaux de l’enfance, le droit à l’insouciance. Abandonné par sa mère, qui se contente de lui donner un peu d’argent chaque semaine, le garçon doit apprendre à se débrouiller seul. C’en est fini pour lui des récréations joyeuses et du plaisir d’apprendre, désormais Sacha bascule dans un univers où l’isolement se conjugue à la violence. « Tu pues », lui murmurent-ils à plusieurs reprises, alors que Sacha, qui vit seul, n’a plus d’habits propres à mettre. Le film frappe par sa justesse à mettre en scène une situation de harcèlement, s’appuyant sur le jeu des jeunes acteurs, en particulier Ghillas Bendjoudi qui, dans le rôle de Sacha, parvient à plusieurs reprises à dégager une violence crédible et émouvante.

L’autre héroïne du film, c’est la « maîtresse » de Sacha, Florence (Sara Forestier), qui va découvrir la situation du petit garçon et se mettre en tête de le sauver, s’engageant corps et âme dans une relation de plus en plus ambiguë. Le cas de Sacha est le pivot d’un questionnement moral fort sur le rôle de l’enseignant, mis en position de sentinelle des dysfonctionnements familiaux et sociaux (on retrouve la problématique du Ça commence aujourd’hui de Bertrand Tavernier). En cela, Primaire n’est pas dénué d’une portée politique (comme le dit Hélène Angel, l’école est un décor clos qui raconte le monde) : le film aborde également, en filigrane, des questions comme le salaire des professeurs, l'engagement syndical, ou encore la précarité des assistants de vie scolaire. La réussite du film est ainsi de parvenir à traiter ces différentes questions sans renoncer pour autant à la légèreté propre à l’enfance. Le choix de la réalisatrice de tourner avec deux caméras, l’une fixe, l’autre sur rails, lui permet de conserver la spontanéité des enfants et la confusion des salles de classe. L’esthétique du film s’inscrit elle aussi dans un univers enfantin, par son décor d’école format réduit bien sûr, mais également par le choix de couleurs vives présentes dans tous les plans.

On regrettera cependant que Primaire ne parvienne pas tout à fait à trouver sa voix, entre enfants et adultes, entre burlesque et drame social. Certes, la confusion des genres s’intègre assez bien à l’aspect foisonnant du film, qui colle à l’atmosphère des écoles primaires. Mais elle donne parfois lieu à des fausses notes, comme celle que constitue le monologue final de Sara Forestier, dans lequel Florence explique aux enfants son rapport à l’école et, plus largement (trop largement), sa compréhension de la vie. Pour Hélène Angel, l’idée était probablement de montrer l’évolution de son personnage, son accès « à une plus grande conscience de la vie ». Mais ce monologue est doublement maladroit : à la fois trop et mal écrit (abusant de grandes phrases plates comme « le monde est beau, mais il n’est pas juste »), il sort le personnage de Florence de la fiction pour en faire, de manière trop évidente, le porte-parole des intentions de la réalisatrice. Il résume la fragilité de Primaire, film sur les enfants mais pour les adultes, qui ne sait jamais vraiment sur quel pied danser.