Mala Junta©Bodega Films

Récit initiatique en pays mapuche

Critique
89 minutes 2018

Premier film de la réalisatrice chilienne Claudia Huaiquimilla, Mala Junta ("Mauvaise fréquentation") reprend les traits essentiels du récit d’apprentissage : deux adolescents, tous deux en pleine crise identitaire et marginalisés par la société – l’un parce qu’il survit de petits délits, l’autre parce qu’il est mapuche -, vont, l'un grâce à l’autre, définir leur identité et passer ainsi de l’enfance à l’âge adulte. La trajectoire de Tano et Cheo est commune à bien des récits littéraires et cinématographiques : l’opposition initiale entre les deux jeunes héros – l’un venu de la ville, l’autre ayant grandi à la campagne ; l’un éduqué sans repères, l’autre riche des traditions familiales – cède progressivement la place à une communauté de valeurs et de destins.
Si Mala Junta s’inscrit dans un genre balisé, la présence des interprètes et quelques belles idées de mise en scène donnent du relief à ce premier film. La réalisatrice, qui filme sur les terres mapuches de ses ancêtres, insiste notamment sur la séparation entre un monde adulte fait d’espaces clos et un monde adolescent inscrit dans la nature. Tandis que les scènes en présence des adultes se déroulent essentiellement dans des endroits fermés et sombres (des maisons de bric et de broc, un garage, un bus roulant dans la nuit, une voiture, un lycée), les rencontres entre Tano et Cheo ont systématiquement lieu en pleine campagne, sur des chemins déserts ou sous un arbre qui leur sert de refuge. Cette opposition spatiale est une mise en images à la fois de la revendication de liberté de Tano, que la justice menace d’enfermer dans un centre de rétention pour mineurs, et de l’attachement de Cheo à sa terre, menacée par l’État et les multinationales.
C’est d’ailleurs ce dernier point – le combat des Mapuches pour leurs droits et pour leur terre – qui marque la véritable singularité de Mala Junta. La réalisatrice double son récit initiatique d’une initiation politique, qui vaut autant pour les personnages que pour le spectateur. Ce combat n’apparaît au début qu’en arrière-plan, derrière la vitre d’un bus ou en fond sonore à la télévision. Mais il surgit ensuite dans le quotidien des deux héros et s’impose au centre du récit. En même temps que Tano, l’adolescent venu de la ville, le spectateur apprend ainsi que les Mapuches, peuple aborigène vivant dans la région centrale du Chili, sont victimes de discriminations et de violences policières, et que leurs terres sont confisquées par des multinationales qui les détruisent. La mise en scène du combat mapuche, en plus de présenter un intérêt documentaire évident, permet de faire progresser le récit initiatique. Au fur et à mesure que les deux adolescents s’impliquent dans cette lutte, ils y trouvent une raison d’exister : ce combat permet à Tano de se décentrer de lui-même et d’acquérir les valeurs qui lui manquaient ; il offre à Cheo un moyen de s’affirmer et de relever la tête face au racisme et aux brimades de ses camarades.
Parce qu’il met en scène deux jeunes garçons à la recherche de leur identité, Mala Junta ne manquera pas de parler aux adolescents français qui partagent les mêmes questionnements. Le film présente dès lors un intérêt certain pour les professeur·e·s d’Espagnol. En classe de Troisième, Mala Junta s’inscrira dans l’objet d’études « L’ici et l’ailleurs », et permettra d’étudier la vie quotidienne dans la région chilienne où se passe le film. En Seconde, au sein de la thématique « L’art de vivre ensemble », le film introduira des réflexions sur le conflit mapuche et la place des adolescents dans la société. Enfin, au cycle Terminal, les enseignant·e·s pourront étudier grâce au film les abus de pouvoir des États latino-américains contre leurs communautés amérindiennes (« Lieux et formes du pouvoir"), la figure du héros contemporain en lutte pour les droits de son peuple, et la question de l’héroïsme collectif (« Mythes et héros »), ainsi que les frontières symboliques et tacites, au sein d’un territoire national ou d’une société (« Espaces et échanges »).