Hors la loi de Rachid Bouchareb
Trop courte, trop schématique, trop partielle… L'historien ne pourra se satisfaire de la représentation expéditive que donne Hors la loi de Rachid Bouchareb du massacre de Sétif du 8 mai 1945, et que la pré-polémique a placé sous les feux des projecteurs. Ces cinq minutes risquent de faire oublier les deux heures et quelques du film de Rachid Bouchareb. C'est bien dommage, car dans la salle de projection, c'est précisément l'inverse que l'on a vécu.
La séquence d'ouverture donne le "la" : en plans larges, presque leoniens, sur un paysage désolé, la séquence montre l'humiliation coloniale (un agriculteur dépossédé de sa terre au profit d'un colon), et introduit trois petites silhouettes frêles, trois frères que l'on retrouvera adultes (le trio Jamel Debbouze, Sami Bouajila et Roschdy Zem). Cette scène originelle pose l'ambition du film : avec Hors la loi, Rachid Bouchareb signe son Il était une fois en… Algérie, entrelaçant les destins de trois frères à la lutte du FLN sur le territoire français. Bien plus à l'aise dans le film noir (clair-obscurs, fusillades, héros à chapeau mou) que dans le film de guerre (les séquences de bataille étaient le gros point faible d'Indigènes), le réalisateur de Little Senegal alterne avec bonheur scènes intimistes et morceaux de bravoure (impressionnantes scènes de foule). Avec sa construction en chiasme qui embrasse le film entre deux massacres (le 8 mai 1945 à Sétif, le 17 octobre 1961 à Paris) et deux combats de boxe, Hors la loi montre une sacrée ambition romanesque, au mépris —parfois— de la vraisemblance (la voiture de Said qui arrive à point nommé pour secourir ses frères) et —souvent—de l'ancrage historique (Rachid Bouchareb n'a que faire de nous donner un cours d'histoire). Hors la loi n'est pas un film d'histoire : même si la fiction se raccroche à la chronologie historique, les personnages appartiennent clairement à la mythologie. Cela relativise d'emblée les critiques que l'on peut lui adresser. L'une d'elles est en tout cas particulièrement injuste : Hors la loi est tout sauf un film pro-FLN. Il montre la violence du parti indépendantiste, notamment dans sa lutte sanglante avec le MNA ou sa prise en main de la communauté algérienne de France. Il montre également le cynisme de ses dirigeants, capables de donner le mot d'ordre de la manifestation du 17 octobre 1961 en comptant bien exploiter le bain de sang qui va en résulter. Hors la loi est finalement un film sur la manière dont l'histoire broie inexorablement les destins individuels, y compris de ceux qui cherchent à la servir. Le véritable héros du film est l'idéologue Abdelkader (Sami Bouajila), cadre du FLN, qui aura tout sacrifié à une victoire qu'il ne verra jamais.
Hors la loi de Rachid Bouchareb, Sélection Officielle Sortie en France le 21/09/2010