Welcome : le migrant et Monsieur tout le monde

Critique
de Philippe Lioret
110 minutes 2009

Le migrant serait-il la nouvelle figure du misérable dans le cinéma français ? Après Eden à l’Ouest de Costa Gavras sorti il y a quelques semaines, et avant Nulle part terre promise d’Emmanuel Finkiel, le Welcome de Philippe Lioret s’attache à son tour à décrire le sort dramatique réservé par l’Europe à ceux qui ont réussi à pénétrer illégalement ses frontières. « Comment donner un visage et une existence fictionnelle à ces masses de migrants qui se pressent aux portes de l’Europe, comment rendre cinégénique cette insupportable réalité qui constitue à la fois notre mauvaise conscience et notre cauchemar ? » demandions-nous à propos du film de Costa Gavras.

Si les questions sont les mêmes, les réponses divergent. Quand Costa Gavras ambitionnait de raconter une "odyssée" (la traversée de l’Europe entière), Philippe Lioret préfère filmer un cul de sac : la ville de Calais où échouent (dans des conditions déplorables depuis la fermeture du centre de Sangatte) les candidats malheureux à l’Angleterre. Quand Eden à l’Ouest retournait la figure stigmatisée du clandestin pour en faire un héros de fiction, équivalent moderne d’un "Ulysse aux mille ruses", Welcome s’attache au contraire au point de vue du français moyen, ni tout à fait indifférent au problème, ni particulièrement engagé… Vincent Lindon incarne ainsi un calaisien ordinaire (maître-nageur à la piscine municipale), un peu trop pris par ses soucis sentimentaux pour s’intéresser à l’Autre (sans papier venu de pays lointains) que les hasards de la géographie ont fait échouer à ses portes. On connaît l’argument du film : un jeune afghan lui demande des cours de natation pour traverser la Manche et rejoindre la jeune fille qu’il aime. Progressivement intrigué puis ému par l’opiniâtreté du jeune homme, notre héros va lui apporter de l’aide et plonger dans la jungle des sans-papiers, à ses propres risques.

L’exploit sportif comme seul horizon de salut (cf l’histoire du champion de boxe afghan qui se voit offrir un titre de séjour), dont les médias ont fait leur miel), l’amour qui réunit les hommes par-delà les frontières : ces ingrédients pouvaient faire craindre la bluette la plus détestable. Mais Welcome a la remarquable honnêteté de ne nous fait pas prendre des vessies pour des lanternes : un clandestin de 17 ans ne se transforme pas quelques semaines en champion de natation, un type largué (à tous les sens du terme) ne récupère pas sa femme en s’achetant une conscience sociale… Le film de Philippe Lioret déroule jusqu’au bout une histoire d’un pessimisme assez étonnant pour un film supposément destiné au "grand public" : il se contente de décrire l’insupportable réalité (les modalités de la traque aux clandestins, la criminalisation de ceux qui cherchent à les aider) sans se poser en donneur de leçons.

C’est pourquoi la phrase qui sonne le moins juste dans le film est sans doute celle que les scénaristes ont mise dans la bouche de l’ex-femme du héros, figure de la conscience citoyenne et de l’engagement (elle est bénévole dans une association d’aide aux migrants) : pointant le traitement dégradant réservé aux sans-papiers (en l’occurrence ils sont refoulés d’un centre commercial), celle-ci conseille au héros de "regarder dans ses livres d’histoire" à la recherche de précédents. Pour ceux qui n’auraient pas compris, le réalisateur enfonçait le clou dans une interview à la Voix du Nord quelques jours avant la sortie, lançant la polémique que l'on sait : "J’ai le sentiment d’avoir raconté l’histoire d’un type qui a protégé un Juif dans sa cave, en 1943."

Comparaison n’est pas raison, aurait-on eu envie de rétorquer au réalisateur et à son personnage. Mais l'indignation surjouée du nouveau ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale a finalement justifié la sortie du réalisateur : la kyrielle d’articles et de reportages (voir la revue de presse réalisée par RESF) qu'a suscitée la passe d'armes a ramené les projecteurs sur la réalité calaisienne, et sur l’article L 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ("toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros.").