Ils ne mouraient pas… : le travail c’est (pas) la santé

Ils ne mouraient pas… : le travail c’est (pas) la santé

Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés. Dans ce titre magnifique, certains auront reconnu le septième vers de la fable Les Animaux malades de la peste de La Fontaine :"Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés :On n’en voyait point d’occupésA chercher le soutien d’une mourante vie ;Nul mets n’excitait leur envie…"C’est un tout autre mal que sont allés traquer Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, inspirés par les travaux de Christophe Dejours (dont La souffrance en France, 1998) : la généralisation de la souffrance au travail, et la banalisation du mal comme mode de management.L’essentiel du film (hormis les séquences d’ouverture et de clôture) est ainsi constitué d’entretiens captés dans trois hôpitaux de la région parisienne : une psychologue et deux médecins y reçoivent quatre personnes (une ouvrière, un directeur d’agence, une aide soignante, une gérante de magasin) qui racontent leur souffrance au travail.L’irruption de la caméra dans un espace qui lui est à priori interdit, la frontalité et simplicité du cadre, l’importance donnée à l’écoute dans la durée : le dispositif rappelle évidemment le cinéma de Raymond Depardon (Délits Flagrants par exemple). Il permet ici de recueillir une parole littéralement inouïe. Echappant à l’anecdote et au "psychologisme", elle dresse un tableau effrayant : cette souffrance est le corollaire direct des nouvelles formes d’organisation du travail (division du travail, individualisation, systèmes de commandement, modes d'évaluation) dictées par les "contraintes du marché".Ainsi la juxtaposition entre le témoignage d’une ouvrière à la chaîne et celui d’un cadre n’est pas anodine. La première raconte que son corps s’est adapté à la machine, qu’elle reproduit chez elle le rythme de la chaîne ("Chez moi il faut que ça aille vite, ça m’énerve quand tout le monde ne bouge pas à ma façon") et l’on pense à Charlot dans les Temps Modernes sortant de l’usine agité de mouvements convulsifs. Le second refuse la taylorisation croissante de son travail et la pression managériale qu’il est censé reporter sur ses employés.Assorti d’un viatique final qui montre les praticiens et le chercheur partageant leur expérience (scène cinématographiquement plus maladroite mais passionnante par ce qu’elle dit et ce qu’elle montre d’un travail universitaire en acte, cf le labo de Desjours au CNAM), ce film émouvant et passionnant tombe à point nommé : il rappelle que les gains économiques de "productivité" et de "flexibilité" ont un coût social et sanitaire. Et que la terreur érigée en mode de management finit par saper la "valeur travail" même.Il y a un très beau travail à mener autour de ce film dans plusieurs disciplines :— En Sciences Economiques et Sociales évidemment, en Seconde et encore plus en Terminale ES pour étudier l’organisation du travail et ses évolutions, notamment à travers les "chroniques du travail" de Christophe Desjours (sur le site SES en Île de France).Dans le cadre des travaux pratiques et en liaison avec le cours de Français on pourra comparer ce documentaire à deux fictions : Ressources humaines et Violence des échanges en milieu tempéré. On s’appuiera sur ce constat des réalisateurs (dans le dossier de presse) :"Filmer le travail à l’intérieur des entreprises est très difficile voire impossible. Ce sont des lieux de pouvoir où le regard d’observateur critique du cinéaste n’est pas le bienvenu."— En Français et en Option-Cinéma on pourra s’appuyer sur les analyses d’Anne Henriot (Actualités pour la classe du CNDP) qui revient sur la signification du titre, dégage les thèmes à travers les différentes séquences, analyse la construction du film et son dispositif esthétique .— En Philosophie, le film pourra illustrer et enrichier l’étude de la notion de travail (voir ce dossier Mag Philo : La valeur du travail, illustré notamment par un entretien avec… Christophe Desjours)[Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil. 2006. Durée : 1 h 20 min. Distribution : Bodega Films. Sortie le 8 février]

Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés. Dans ce titre magnifique, certains auront reconnu le septième vers de la fable Les Animaux malades de la peste de La Fontaine :"Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés :On n’en voyait point d’occupésA chercher le soutien d’une mourante vie ;Nul mets n’excitait leur envie…"C’est un tout autre mal que sont allés traquer Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, inspirés par les travaux de Christophe Dejours (dont La souffrance en France, 1998) : la généralisation de la souffrance au travail, et la banalisation du mal comme mode de management.L’essentiel du film (hormis les séquences d’ouverture et de clôture) est ainsi constitué d’entretiens captés dans trois hôpitaux de la région parisienne : une psychologue et deux médecins y reçoivent quatre personnes (une ouvrière, un directeur d’agence, une aide soignante, une gérante de magasin) qui racontent leur souffrance au travail.L’irruption de la caméra dans un espace qui lui est à priori interdit, la frontalité et simplicité du cadre, l’importance donnée à l’écoute dans la durée : le dispositif rappelle évidemment le cinéma de Raymond Depardon (Délits Flagrants par exemple). Il permet ici de recueillir une parole littéralement inouïe. Echappant à l’anecdote et au "psychologisme", elle dresse un tableau effrayant : cette souffrance est le corollaire direct des nouvelles formes d’organisation du travail (division du travail, individualisation, systèmes de commandement, modes d'évaluation) dictées par les "contraintes du marché".Ainsi la juxtaposition entre le témoignage d’une ouvrière à la chaîne et celui d’un cadre n’est pas anodine. La première raconte que son corps s’est adapté à la machine, qu’elle reproduit chez elle le rythme de la chaîne ("Chez moi il faut que ça aille vite, ça m’énerve quand tout le monde ne bouge pas à ma façon") et l’on pense à Charlot dans les Temps Modernes sortant de l’usine agité de mouvements convulsifs. Le second refuse la taylorisation croissante de son travail et la pression managériale qu’il est censé reporter sur ses employés.Assorti d’un viatique final qui montre les praticiens et le chercheur partageant leur expérience (scène cinématographiquement plus maladroite mais passionnante par ce qu’elle dit et ce qu’elle montre d’un travail universitaire en acte, cf le labo de Desjours au CNAM), ce film émouvant et passionnant tombe à point nommé : il rappelle que les gains économiques de "productivité" et de "flexibilité" ont un coût social et sanitaire. Et que la terreur érigée en mode de management finit par saper la "valeur travail" même.Il y a un très beau travail à mener autour de ce film dans plusieurs disciplines :— En Sciences Economiques et Sociales évidemment, en Seconde et encore plus en Terminale ES pour étudier l’organisation du travail et ses évolutions, notamment à travers les "chroniques du travail" de Christophe Desjours (sur le site SES en Île de France).Dans le cadre des travaux pratiques et en liaison avec le cours de Français on pourra comparer ce documentaire à deux fictions : Ressources humaines et Violence des échanges en milieu tempéré. On s’appuiera sur ce constat des réalisateurs (dans le dossier de presse) :"Filmer le travail à l’intérieur des entreprises est très difficile voire impossible. Ce sont des lieux de pouvoir où le regard d’observateur critique du cinéaste n’est pas le bienvenu."— En Français et en Option-Cinéma on pourra s’appuyer sur les analyses d’Anne Henriot (Actualités pour la classe du CNDP) qui revient sur la signification du titre, dégage les thèmes à travers les différentes séquences, analyse la construction du film et son dispositif esthétique .— En Philosophie, le film pourra illustrer et enrichier l’étude de la notion de travail (voir ce dossier Mag Philo : La valeur du travail, illustré notamment par un entretien avec… Christophe Desjours)[Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil. 2006. Durée : 1 h 20 min. Distribution : Bodega Films. Sortie le 8 février]