Le Havre

La ville française du Havre, fleuron bétonné de l'architecture d'après-guerre, sert moins de décor au dernier film du réalisateur finlandais Aki Kaurismaki, qu'elle ne suscite une "atmosphère" : celle des quelques films tournés en France dans les années trente et quarante, que l'histoire du cinéma a rassemblé sous l'étiquette du "réalisme poétique", et dont l'une des actrices fétiches portait le nom d'Arletty, comme l'héroïne de Kaurismaki. Dans le dossier de presse, le réalisateur finlandais parle d'"un film, qui à tous égards, est irréaliste". L'affirmation se prêterait à merveille à l'exercice de la dissertation en deux parties.

Un film réaliste Tout d'abord le titre "Le Havre" ne propose pas le même horizon d'attente que le récent Midnight in Paris de Woody Allen, pour prendre un autre titre "à toponyme".  La référence est avant tout une ville populaire, qui prend immédiatement une couleur grisâtre dans l'imaginaire. La poésie du Quai des brumes tourné au Havre par Marcel Carné en 1938 s'efface ici devant la force autoréférentielle du Nom. Il y donc bel et bien effet de réel, car le Havre désigne avant tout un port ( le mot "havre" vient du néerlandais qui signifie "port"), c'est-à-dire, un lieu de transit et de passage. Les seuls plans larges du film qui montrent la ville sont en majorité tournés sur les quais. Le film choisit ainsi de présenter au premier plan des personnages issus de milieux modestes : petit épicier, boulangère, tenancière de bistrot, cireurs de chaussures, ex-SDF ;  le film montre la vie quotidienne de ces gens modestes, leur nourriture (la baguette, l'œuf dur, le ballon de blanc, les choux-fleurs) et leur rapport à l'argent (on ne voit que des billets de 5 et 10 euros, il faut faire attention à la monnaie…). Le film s'ancre d'autre part dans l'actualité, et c'est une nouveauté pour l'auteur de L'Homme sans passé : le personnage principal, Marcel Marx, entreprend d'aider un jeune clandestin africain à rejoindre Londres pour y rejoindre sa mère (on retrouve ici le schéma de Welcome, de Philippe Lioret) ; les vieux postes de télé diffusent d'ailleurs des actualités très récentes (extraits de reportages sur l'évacuation de la "jungle" de Calais) et font entendre la voix du Ministre de l'Immigration d'alors, Eric Besson.

Un conte merveilleux Pourtant, malgré cet ancrage indéniablement réaliste, le film est bel et bien un conte. Les noms des personnages, et notamment du couple formé par André Wilms et Katia Outtinen, Marcel et Arletty Marx, évoquent l'univers du cirque (auquel des affiches à l'arrière-plan rendent régulièrement hommage)... Le jeu burlesque des acteurs, la diction décalée, le schéma du clochard magnifique qui aide un enfant, évoquant aussi bien Chaplin qu'un Beckett débarrassé de toute angoisse existentielle. Le personnage du commissaire tout de noir vêtu, qui contre toute attente aide Marcel tout au long du film, le miracle final qui proclame que "l'amour est plus fort que tout", appartiennent également à l'univers du conte. Dans le monde de Kaurismaki, tout est possible, et si l'on galère pour gagner quelques euros en cirant des chaussures, un concert de Little Bob permettra de rassembler 3000 euros, comme un coup de baguette magique. Le Havre a été largement ovationné, comme un film chaleureux qui redonne leur dignité à des personnages, certes archétypaux, dont la misère n'a pas entamé la noblesse.

Le Havre de Aki Kaurismaki, Finlande-France, 93 mn, Sélection officielle (en compétition) Sortie prévue en décembre 2011

La ville française du Havre, fleuron bétonné de l'architecture d'après-guerre, sert moins de décor au dernier film du réalisateur finlandais Aki Kaurismaki, qu'elle ne suscite une "atmosphère" : celle des quelques films tournés en France dans les années trente et quarante, que l'histoire du cinéma a rassemblé sous l'étiquette du "réalisme poétique", et dont l'une des actrices fétiches portait le nom d'Arletty, comme l'héroïne de Kaurismaki. Dans le dossier de presse, le réalisateur finlandais parle d'"un film, qui à tous égards, est irréaliste". L'affirmation se prêterait à merveille à l'exercice de la dissertation en deux parties.

Un film réaliste Tout d'abord le titre "Le Havre" ne propose pas le même horizon d'attente que le récent Midnight in Paris de Woody Allen, pour prendre un autre titre "à toponyme".  La référence est avant tout une ville populaire, qui prend immédiatement une couleur grisâtre dans l'imaginaire. La poésie du Quai des brumes tourné au Havre par Marcel Carné en 1938 s'efface ici devant la force autoréférentielle du Nom. Il y donc bel et bien effet de réel, car le Havre désigne avant tout un port ( le mot "havre" vient du néerlandais qui signifie "port"), c'est-à-dire, un lieu de transit et de passage. Les seuls plans larges du film qui montrent la ville sont en majorité tournés sur les quais. Le film choisit ainsi de présenter au premier plan des personnages issus de milieux modestes : petit épicier, boulangère, tenancière de bistrot, cireurs de chaussures, ex-SDF ;  le film montre la vie quotidienne de ces gens modestes, leur nourriture (la baguette, l'œuf dur, le ballon de blanc, les choux-fleurs) et leur rapport à l'argent (on ne voit que des billets de 5 et 10 euros, il faut faire attention à la monnaie…). Le film s'ancre d'autre part dans l'actualité, et c'est une nouveauté pour l'auteur de L'Homme sans passé : le personnage principal, Marcel Marx, entreprend d'aider un jeune clandestin africain à rejoindre Londres pour y rejoindre sa mère (on retrouve ici le schéma de Welcome, de Philippe Lioret) ; les vieux postes de télé diffusent d'ailleurs des actualités très récentes (extraits de reportages sur l'évacuation de la "jungle" de Calais) et font entendre la voix du Ministre de l'Immigration d'alors, Eric Besson.

Un conte merveilleux Pourtant, malgré cet ancrage indéniablement réaliste, le film est bel et bien un conte. Les noms des personnages, et notamment du couple formé par André Wilms et Katia Outtinen, Marcel et Arletty Marx, évoquent l'univers du cirque (auquel des affiches à l'arrière-plan rendent régulièrement hommage)... Le jeu burlesque des acteurs, la diction décalée, le schéma du clochard magnifique qui aide un enfant, évoquant aussi bien Chaplin qu'un Beckett débarrassé de toute angoisse existentielle. Le personnage du commissaire tout de noir vêtu, qui contre toute attente aide Marcel tout au long du film, le miracle final qui proclame que "l'amour est plus fort que tout", appartiennent également à l'univers du conte. Dans le monde de Kaurismaki, tout est possible, et si l'on galère pour gagner quelques euros en cirant des chaussures, un concert de Little Bob permettra de rassembler 3000 euros, comme un coup de baguette magique. Le Havre a été largement ovationné, comme un film chaleureux qui redonne leur dignité à des personnages, certes archétypaux, dont la misère n'a pas entamé la noblesse.

Le Havre de Aki Kaurismaki, Finlande-France, 93 mn, Sélection officielle (en compétition) Sortie prévue en décembre 2011