
Okja : frère animal
Le nouveau film de Bong Joon Ho est arrivé sur la Croisette affublé de l’étiquette controversée de "film Netflix", cheval de Troie du géant de la SVOD dans le Saint des Saints cinéphile. Le débat, légitime, sur la non-diffusion du film en salles (en tout cas en France), ne saurait occulter une réalité cruelle : si le cinéaste coréen s'est adressé au network américain, c’est sans doute faute de pouvoir trouver auprès des circuits classiques à la fois les moyens de sa superproduction et la garantie de son indépendance artistique. Derrière la simplicité de son titre, Okja cache en effet un chef d’œuvre inclassable, mélange de conte pour enfants (on pense à Spielberg et à Miyazaki) et de satire acide du capitalisme contemporain, qui fait écho, dix ans après, à The Host, le plus grand succès de Bong Joon Ho.
Démarrant tambour battant par la keynote d’une multinationale de l’agroalimentaire (menée par une Tilda Swinton survoltée), dévoilant son projet d’élevage d’une nouvelle race de "supercochons", le film raconte les tribulations d’une de ces bêtes de concours, vouées par la firme à un destin funeste, et de la petite fille de l’agriculteur qui l’a élevée, qui tentera à toutes forces de la sauver. Ce ne serait pas rendre justice au film (et service au spectateur) que de dévoiler les rebondissements d’un récit extraordinairement inventif et rythmé, qui fera notamment intervenir un groupe d’activistes de la cause animale, et une jumelle maléfique (la frégolienne Tilda Swinton). On se contentera de rendre hommage au mélange de démesure (notamment dans la bouffonnerie, voir le personnage de Jake Gyllenhaal) et de maîtrise (particulièrement dans les scènes d’action) qui caractérise le style de Bong Jooh Ho ; et de souligner la profondeur d’une œuvre accessible aux plus jeunes (à partir de 10 ans). Au-delà de la satire attendue du greenwashing (l’agrobusiness aime barioler ses emballages de paysages bucoliques pour mieux faire oublier sa réalité industrielle), le film pointe en effet la contradiction fondamentale de notre rapport aux animaux (à la fois objets d’amour et de consommation), contradiction exacerbée par les excès conjugués de l’ère industrielle et de la la société de consommation…
Reste un paradoxe, qui constitue peut-être la limite du film : l’animal en question est une pure créature de synthèse, née non dans les éprouvettes d’un savant fou mais dans les lignes de code des sociétés d’effets spéciaux. Malgré les prouesses de l’animation numérique dans le rendu des mouvements et des textures, il y a là comme un déficit d’incarnation qui nous empêche d’adhérer émotionnellement à la fable. Mais si Okja peine à nous faire pleurer, il nous aura fait vibrer, rire et réfléchir pendant deux heures durant…