À travers Madame de Lafayette, l'amour au temps des Guerres de Religion

Critique
de Bertrand Tavernier
139 minutes 2010

La Princesse de Montpensier se termine peu après le moment où commençait La Reine Margot de Patrice Chéreau (présenté au Festival de Cannes en 1994) : au massacre de la Saint-Barthélémy (24 août 1572). Le repère est commode pour situer une époque qui se perd dans les brumes de la mémoire collective.

Mais il permet aussi et surtout de définir un programme esthétique : dans La Reine Margot Patrice Chéreau puisait aux deux sources bouillonnantes du feuilleton romantique (le roman d'Alexandre Dumas père) et du théâtre élizabéthain (Massacre à Paris de Christopher Marlowe) ; c'est à la source la plus pure du classicisme français que s'abreuve Bertrand Tavernier en adaptant une longue nouvelle de Madame de la Fayette.
Car si elle se déroule, comme La Princesse de Clèves, au siècle précédent, celui des guerres de religion, et met en scène toutes les figures historiques du temps, La Princesse de Montpensier sent fort son XVIIème classique, ses valeurs et ses préoccupations : l'analyse approfondie du sentiment amoureux, le regard sévère porté sur les passions humaines (ambitions, rivalités), la "gloire" de l'héroïne à renoncer à son amour…
Le paradoxe est que le cinéaste et son scénariste Jean Cosmos ont cherché à "ré-historiciser" le roman, pour retrouver les "racines des sentiments (…) de la nouvelle" (extrait du dossier de presse). On ne s'en plaindra pas, c'est sans doute le meilleur du film, qui nous rappelle que Tavernier est sans conteste le réalisateur français actuel qui a su le mieux mettre en scène notre histoire : des ténèbres du Moyen-âge (La Passion Béatrice) jusqu'à celles de l'Occupation (Laissez-passer), en passant par la Régence (Que la fête commence), la Troisième république (Le Juge et l'assassin) et la guerre de 1914 (Capitaine Conan, La Vie et rien d'autre), sa filmographie propose une exploration sans pareille des passions françaises. Encore une fois, il parvient ici à rentrer de plain-pied dans l'époque, alignant les scènes comme autant de morceaux de bravoure : la négociation triviale qui préside au destin matrimonial de Marie de Mézières, la nuit de noces sous contrôle parental, le bivouac des généraux catholiques au château de Montpensier, l'entrevue avec une Catherine de Medicis versée dans l'astrologie… Les dialogues de Jean Cosmos ont le bon goût de respecter la langue classique ("Monsieur de Guise a repris feu pour moi") et l'intelligence d'éviter tout didactisme (Bertrand Tavernier appelle ça "ne pas avoir l’air de s’étonner de ce qui semble normal pour les personnages") quitte à perdre un peu le spectateur en route : ainsi Montpensier n'évoque pas "le massacre de la Saint-Barthélémy" mais "cette grande boucherie d'hérétiques".
Loin des affects déchaînés des héros de Dumas revisités par Chéreau, Bertrand Tavernier livre une œuvre où la passion, brûlante, circule de manière souterraine et feutrée, réprimée par les conventions et la haute idée que les personnages se font de leur vertu. Il livre une belle réflexion sur la guerre civile, l'oppression immémoriale des femmes par le patriarcat et l'Humanisme, incarné par le personnage de Chabannes (Lambert Wilson).