Swagger©Rezo Films

Swagger : premiers de la classe

Critique
de Olivier Babinet
84 minutes 2016

En ouverture du film, on entend la voix d’une adolescente expliquer « qu’avant, il y avait plein de gens d’origine française qui habitaient ici » mais que « quand les Africains et les Arabes sont arrivés, ils n’ont pas voulu rester, ils sont partis ». Ici, c’est Aulnay-sous-Bois, commune de quelques 82 000 habitants située en Seine-Saint-Denis. Une ville principalement constituée de grands ensembles à l’architecture aujourd’hui si décriée, qui concentre des populations socialement défavorisées et très majoritairement issues de l’immigration : en un mot l’archétype de la « banlieue », des « cités » ou des « quartiers » avec tout ce que ces mots charrient de clichés négatifs dans l’imaginaire de la France contemporaine (misère, délinquance, échec scolaire, communautarisme…).

Olivier Babinet est arrivé à Aulnay grâce à Sarah Logereau, professeur de français au collège Claude Debussy, qui l’a invité à animer un atelier auprès d’élèves de 4e. Pendant un an, le réalisateur a donc travaillé avec ces élèves, explorant leurs rêves et leurs cauchemars, avant de prolonger sa résidence grâce au dispositif In Situ, à raison d’une journée par semaine. Ainsi est né Swagger, son deuxième long-métrage après Robert Mitchum est mort, qui nous invite à explorer le quotidien et l’imaginaire de onze élèves du collège Debussy. Le film ne serait pas ce qu’il est sans cette implication au long cours du réalisateur, qui justifie la confiance, palpable à l’écran, que lui accordent les adolescents. Devant la caméra, Aissatou, Maryama, Abou, Nazario, Astan, Salimata, Naïla, Aaron, Régis, Paul et Elvis parlent de leur quotidien et confient leurs rêves, sans oublier de faire les pitres. Chaque élève est filmé au collège (en haut d’un escalier, devant des casiers, dans un couloir, etc.), face caméra, en plan fixe. Ce dispositif modeste permet de ne pas intimider les adolescents, laissant leur parole s’épanouir pleinement ; il n’empêche pas de les magnifier, par le soin apporté à l’image (signée par Timo Salminen, le chef-opérateur d’Aki Kaurismaki) et par les séquences jouées, directement issues de leur imaginaire. Olivier Babinet a en effet demandé aux adolescents de se mettre en scène, dans des scénettes colorées et souvent drôles qui viennent soutenir le rythme du film. Paul danse dans les rues d’Aulnay, portant d’une main un parapluie rouge tout droit sorti de Chantons sous la pluie ; Régis défile le jour de la rentrée, au ralenti, comme dans un « teen movie » américain (on pense à Lolita malgré moi, grand classique du genre).

Cette plongée dans l’intimité d’adolescents d’aujourd’hui, filmée à leur hauteur, n’en est pas moins une œuvre éminemment politique. C’est un reportage télévisé caricatural sur le collège Debussy qui a donné à Olivier Babinet l’envie du film. On y voyait « la grille du collège filmée de loin, trois mecs à capuche et du synthétiseur angoissant », comme l’explique le réalisateur, qui ajoute que « [son] propos politique, [était] celui de passer la grille et d’aller à la rencontre de ceux qui se trouvent sous les capuches ». Racontée par ceux qui y vivent, la banlieue de Swaggers n’est pas forcément moins violente ou déshéritée que dans les médias : les adolescents du film ont conscience du déclassement social, de la relégation spatiale et de l’absence totale de mixité qu’ils subissent (« Je connais pas les Français de souche » dit l’une, quand l’autre explique que « les Noirs et les Arabes, on n’est pas pareil que les Français »).  Mais elle est certainement plus humaine, plus riche et plus complexe. La plupart du temps, les médias présentent une banlieue exotique et inquiétante, peuplée uniquement de sauvages ou de hors-la-loi, construisant un « eux » menaçant s’opposant à un « nous » qui les exclut. Ici au contraire, Babinet nous montre un espace habité, vivant. C’est le sens d’un des plus beaux plans du film : un long travelling-arrière part de Régis, qui se prépare devant sa glace, pour aboutir à une vue panoramique d’Aulnay. Par ce passage de l’espace intime (la chambre) à l’espace public (la ville), Babinet insiste : dans ces immeubles sans âme vivent des enfants, des adolescents, et des adultes qui, si on prend la peine de les regarder de plus près, nous prouvent qu’ils ont de quoi être fiers.

On ne saurait trop conseiller aux enseignants de montrer ce film magnifique et positif à leurs élèves. Au collège, Swagger s’intègrera parfaitement dans l’objet d’étude « Se raconter, se représenter » (en classe de Français niveau 3e) : d’une part le film interroge la façon dont les adolescents parlent d’eux-mêmes (que dire face à la caméra ?) ; d’autre part les séquences où ils mettent en scène leur imaginaire témoignent, d’une manière différente, de ce qu’ils sont. Ces séquences rêvées pourront aussi être intégrées dans l’objet d’études « Visions poétiques du monde », également au programme de 3e. On pourra également mobiliser les propos des élèves en EMC et en Français en 4e (« Individu et société : confrontation de valeurs ? »). Du côté de l’éducation à l’image, Swagger permettra enfin d’aborder la différence entre reportage et documentaire : le second cultive en effet un point de vue, ce que l’on voit bien dans le film, puisque la mise en scène de l’imaginaire est intégrée à la captation du réel.