Retour à Forbach©Docks 66

Retour à Forbach : mémoire de nos terres

Critique
de Régis Sauder
78 minutes 2017

Il y a, au départ de Retour à Forbach, une colère immense : la colère d’un ancien enfant de la ville effaré de voir celle-ci trahir sa mémoire. En mars 2014, le frontiste Florian Philippot arrive en tête du premier tour des élections municipales à Forbach. Le cinéaste Régis Sauder (Nous, princesse de Clèves), qui y a vécu jusqu’à ses 18 ans, signe alors pour Libération une tribune très virulente, dans laquelle il dénonce « la victoire de l’obscurantisme, de l’oubli, de la négation de la pensée ». Depuis, la colère ne s’est pas atténuée, mais le réalisateur a compris que celui qui était parti de Forbach (lui) ne pouvait condamner avec autant de violence ceux qui y étaient restés.

Retour à Forbach n’est donc pas une œuvre à charge. À la manière d’un sociologue (on pense d’ailleurs très fort au magnifique Retour à Reims de Didier Eribon, auquel le titre du documentaire rend hommage), Sauder ausculte son sujet, et cherche à expliquer comment une ville autant marquée par le nazisme et engagée depuis toujours dans l’accueil des immigrés en est venue à voter aussi largement pour un parti de l’extrême-droite nationaliste. Sa caméra s’attarde ainsi sur des puits à charbon délabrés, signes visibles d’un chômage qui a frappé de plein fouet, et sur les rues vides du centre-ville, où les stickers « Génération identitaire » côtoient les affichettes « À vendre ». Dans la bouche des habitants qu’il interroge, on entend les promesses non-tenues, l’abandon des services publics, et la ville qui se meurt. Quelques semaines après la sortie de Chez Nous, dont on pouvait analyser qu’il échouait à parler aux électeurs du Front National, contrairement au souhait proclamé de son Lucas Belvaux, Retour à Forbach se distingue par une subtilité et une prise de distance qui rendent le film plus à même de s’adresser à tous. Régis Sauder n’impose rien, il interroge.

Là où le film pêche, c’est qu’il tente d’en dire trop. Trois fils narratifs structurent ce Retour à Forbach : le récit de l’enfance du réalisateur, enfance marquée par l’exclusion et la honte ; l’histoire de la ville, terre frappée de plein fouet par le nazisme devenue terre d’accueil ; et une tentative d’explication de la percée du Front National. Mais en voulant mêler ces trois thèmes, Régis Sauder se trouve parfois obligé d’abandonner certaines de ses réflexions en cours de route, et laisse à d’autres moments le spectateur en pleine confusion, une confusion particulièrement perceptible dans les choix sonores. Certains passages conjuguent bruits d’ambiance (qui racontent l’atmosphère de la ville), paroles d’habitants (témoignant de leur vie à Forbach) et musique métal (douloureux et virulent cri de colère des jeunes Forbachois qui l’ont composée). Il devient alors difficile pour le spectateur de tout suivre, de sorte que le sens finit par se perdre.

Les moments de grâce naissent quand Régis Sauder s’en tient à une certaine sobriété, et laisse simplement parler ses témoins ou ses images. C’est notamment le cas d’une séquence où il interroge la directrice de l’école de Forbach. Celle-ci montre à la caméra – et donc au spectateur – l’étendue verte qui remplace les tours dans lesquelles elle a grandi, saisissante illustration d’un passé dont on a voulu faire table rase. Elle évoque la misère noire de son enfance, les coupures d’électricité qu’elle subissait à l’époque et la honte qu’elle avait d’être pauvre. La complexité de l’identité de cette femme – qui se souvient avec émotion de la cité dont la simple vue lui donnait parfois mal au ventre quand elle était enfant – rend son propos poignant. On est là au plus près de l’intention exprimée par le cinéaste : filmer pour ne pas oublier, et pour qu’ainsi le futur puisse se construire de manière plus apaisée. C’est d’ailleurs sur une note d’espoir que se termine ce Retour à Forbach : la maison de ses parents vendue, Sauder filme le petit garçon qui occupe désormais sa chambre d’enfant. Un sourire, le soleil et un signe de la main : comme une promesse.

Ainsi, malgré ses faiblesses, Retour à Forbach pourra intéresser les professeurs de Sciences économiques et sociales. Régis Sauder décrit en effet dans son film les conséquences du chômage sur le tissu social, la façon dont le second se désagrège à cause du premier. En classe de Première, Retour à Forbach permettra donc d’évoquer les questions de cohésion sociale. En Terminale, le film s’intègrera au programme de sciences politiques, pour étudier les processus de socialisation politique et notamment le lien entre territoires et pratiques électorales.