Par l'incarnation, dépoussiérer Marx et sa pensée

Critique
de Raoul Peck
118 minutes 2017

Neruda, Jackie, Dalida, Django, Barbara… l'année 2017 n’aura pas manqué de biopics. On irait même jusqu’à dire que certains d’entre eux (Jackie, Barbara, Neruda) permettront à l’année 2017 de rester dans les annales comme celle où un genre poussiéreux a trouvé une vitalité. Car si les biopics souffrent souvent des mêmes travers (représenter l’intimité d’une personnalité sans s’intéresser à ce qui a fait son génie), Raoul Peck, dans la lignée de Larrain ou d’Amalric, évite le piège. Son Jeune Karl Marx parle autant de la pensée de Marx que de sa vie. Le cinéaste haïtien reconstitue le contexte politique, social et idéologique de l’époque, permettant à son spectateur de comprendre comment Karl Marx, un jeune Allemand issu de la bourgeoisie, est devenu "Marx", un des plus grands penseurs de son siècle. Peck navigue à travers la pensée marxiste, en explique les ramifications et, surtout, en montre les applications concrètes. C’est d’ailleurs bien là le cœur du film : faire comprendre au spectateur que la pensée de Marx n’existe pas seulement pour que l’on comprenne le monde, mais aussi pour qu’on agisse sur lui. Chez Marx, la pensée est action politique, et a donc de nombreuses répercussions sur le mode de vie du penseur. Cela explique pourquoi Peck inclut dans son film de nombreuses scènes d’action (une course-poursuite avec la police, une bagarre dans un bar ouvrier), et pourquoi il insiste tant sur la misère dans laquelle vivent Marx et sa famille, ces scènes de vie quotidienne permettant également d’humaniser une figure devenue presque abstraite.

Malheureusement, Le Jeune Karl Marx s’avère trop académique dans sa forme pour pleinement convaincre. Raoul Peck voudrait que son film, situé au XIXe siècle, parle du présent. Il le dit en interview, et l’exprime aussi à la fin de son film, dans une séquence où il fait défiler des images d’archives montrant des événements plus ou moins contemporains (de la guerre du Vietnam à la crise des subprimes en passant par l’élection de Nelson Mandela). Il existe évidemment un lien entre la pensée marxiste et les événements représentés. La crise des subprimes par exemple fait directement écho à cette célèbre phrase de Marx : « Le capitalisme porte en lui les germes de sa propre destruction ». Mais le film est un peu trop engoncé dans sa reconstitution historique pour incarner pleinement la modernité de Marx. Rythme un peu lent, film un peu long, mise en scène très sage… l’ennui pointe souvent le bout de son nez, et gêne alors l’identification.

Pour autant, la façon dont Peck met en scène la pensée marxiste est très intéressante pour les enseignants. En Histoire en Première, le film pourra être utilisé pour illustrer la thématique « Croissance économique, mondialisation et mutations des sociétés depuis le milieu du XIXe siècle ». En particulier, les séquences à Manchester, où l’on suit le jeune Friedrich Engels dans sa découverte de la classe ouvrière irlandaise, permettront aux élèves de comprendre l’émergence de l’industrialisation. En Terminale, les professeurs d’Histoire pourront introduire la séquence « Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne de 1876 à nos jours » grâce au film. Le Jeune Karl Marx leur permettra en effet de revenir sur la naissance de la pensée marxiste, pensée qui a largement influencé le socialisme et le syndicalisme allemands entre 1876 et 1950. En Philosophie, le film constituera un très bon point d’entrée pour les élèves, notamment dans les sections ES et L. Bien que Raoul Peck s’en tienne au catéchisme du marxisme, sans rentrer dans les finesses de cette pensée, son portrait d’un Marx jeune et souvent mordant devrait donner envie à certains élèves de se plonger dans écrits (puisqu’on y retrouve, il faut le préciser, le même mordant que dans le film). 

Merci à Marc Charbonnier, professeur d’histoire et membre de l’APHG, et à Jérôme Panais, professeur de philosophie, pour leur contribution à cet article