In the fade©Pathé Distribution

In the fade (Aus dem Nichts) : la haine

Critique
de Fatih Akin
106 minutes 2018

Que dire de Aus dem Nichts excepté qu'il ne faudrait rien en dire, sous peine de déflorer l'émotion brute qui va étrangler le spectateur ? On soulignera d’abord que Fatih Akin a offert un magnifique rôle de femme à Diane Krüger (récompensée par le Prix d’interprétation, NDLR), passant par toutes les stations de la souffrance et du combat, sans jamais que le rôle ni l'actrice ne versent dans le pathos. La silhouette de moineau, le regard tendu vers un horizon impossible, les tatouages qui dessinent sur son corps une jeunesse encore rock et rebelle, font de Katja, une jeune Allemande de son temps qui mène une vie heureuse, que la haine va dévaster.

Car In the fade (Aus dem Nichts) est un film sur la haine. Il y a d'abord cette haine collective, invisible, irrationnelle, qui chaque jour gagne du terrain dans les démocraties européennes, alimentées par les programmes et les discours xénophobes et populistes ; cette haine, c’est celle du groupuscule néo-nazi NSU (Nationalsozialisticher Untergrund), responsable d'une vague d'attentats contre les immigrés en Allemagne de 2000 à 2007, dont s'est inspiré Fatih Akin. Entièrement centré sur son héroïne, le film se pose peu sur ces terroristes néo-nazis : à peine saura-t-on que c'est un jeune couple, elle complètement effacée, lui arrogant et sûr de lui, mais on devinera derrière eux, à l’occasion du procès, une vaste toile qui s'étend d’un avocat particulièrement retors jusqu'à un partisan grec d'Aube dorée.
Et puis il y a la haine de Katja, une haine qui ne demande qu'à être entendue pour s'apaiser, un feu de souffrance qui exige justice, condamnation, réparation, prise de conscience. Fatih Akin filme la brûlure du deuil de manière particulièrement émouvante, notamment dans ce plan, qui hantera longtemps par sa beauté et sa violence, où la caméra descend le long de l'ancre d'un bateau d'enfant pour plonger dans la baignoire de Katja et montrer des fleurs de sang s'envoler dans l'eau.

On observera finalement que le découpage en trois temps, respectivement intitulés "La famille", "Justice" et "La mer", redessinent une structure tragique, faite d'échos, jusqu'à une libération qui posera inévitablement question, en ces temps où les actes de barbarie aveugle se multiplient en Europe, immédiatement suivis d’appels à ne pas céder à la haine. Mais peut-être que Fatih Akin interroge justement notre capacité à la comprendre et à la laisser prospérer, et pointe la faiblesse des démocraties qui n'ont pas de réponses fortes face à ce qui constitue leur parfaite négation.
Plus que son impossible dénouement, intarissable source de questionnements éthiques, on retiendra de ce film son premier quart d'heure, qui pose un magistral regard sur tous les préjugés à l'œuvre dans une société et jusqu’au sein de la famille, regard qui de minute en minute nous déroute, nous cueille au vol, nous fait retomber sur un humour plein de grâce… Ce premier quart d'heure c'est le temps du quotidien et de la légèreté, c'est celui que le reste du film nous fera regretter de ne pas avoir assez savouré, et c'est un bel exploit que de créer ainsi en moins de deux heures, un puissant sentiment de nostalgie.